532-596

Florence Garambois

image

Honorius est arrivé devant les murailles de Rome. Claudien insiste alors sur les nouveaux remparts qui revêtent un double symbole. D’abord par les mots rumore Getarum (v. 532) et timor (v. 533), Claudien laisse entendre la violence de l’incursion des Goths, ensuite ces nouvelles constructions en entourant Rome (continuo muro), la mettent en valeur et, à l’image du limes originaire, lui confèrent un statut particulier qui réactive un thème cher à Claudien, celui du rajeunissement (iuuenescere) de la Ville Éternelle. Ce thème que l’auditoire avait déjà entendu lors de la récitation du Contre Gildon (v. 19-25 et 208-212) permet d’asséner l’immortalité de Rome qui, sans cesse, trouve à se régénérer.

Cet aduentus marque un changement radical puisque les nuages qui obscurcissaient le ciel romain disparaissent à l’apparition du Prince dans l’épiphanie lumineuse dont parle J-L Charlet, Claudien reprend ici (v. 539 principis et solis radiis detersa remouit ) la topique de la lumière du prince et du soleil que les panégyristes comme Corippe reprendront par la suite. Par ailleurs, la notion du changement de temps comme transition appartient au registre épique, notamment en cas de présage. Ici le présage est presqu’inversé, ce n’est pas le ciel qui annonce la gloire d’Honorius mais dit Claudien tibi seruatum scirent conuexa serenum (v. 542).

L’arrivée de l’empereur suscite un mouvement de foule que Claudien décrit comme une saturation de l’espace, à la fois dans sa verticalité ( la mention du Palatin v. 543, quantum licuit consurgere tectis, altas aedes) et  dans son horizontalité par la description de la foule qui se masse sur la voie Flaminia, comme une vague, dans un vers dont les échos phoniques miment le mouvement de l’eau : undare uideres ima uiris et par la mention du pont Mulvius. Claudien prend soin d’affirmer qu’Honorius suscite le contentement et l’admiration de tous en isolant chaque catégorie de population, unie toutefois au sein d’un una turbae facies :  les hommes uiris sont en bas ima, les femmes  matribus sur les toits, la jeunesse exulte iuuenes exultant, tout comme les anciens  senes.

Le jeune âge d’Honorius sur lequel insiste le poète contraste avec la mention d’un champ lexical du passé (senes, prisca, durasse, tempora) cette dualité est d’ailleurs à mettre en parallèle avec le motif du rajeunissement de Rome. Le rétablissement des institutions républicaines primitives par un prince aussi jeune crée un second contraste.

Le regard se focalise alors sur Honorius : son premier geste est un geste civique au vers 551, à savoir refuser que les sénateurs précédent son char Romanos uetuit currum praecedere patres. Cette pratique qui relève du cérémonial de la victoire (voir M. McCormick, Eternal Victory, Triomphal Rulership in Late Antiquity , Byzantium et Early Medieval West, 1990) est un moyen de distinguer la foule des officiels. Nous savons que Constance fut escorté lors de son entrée dans Rome par les sénateurs. Honorius respecte le rituel mais Claudien donne à ce même rituel un autre sens, le jeune empereur se comporte comme un citoyen plutôt que comme un dirigeant autocrate. Claudien mentionne alors Eucher, fils de Stilicon et de Sérène, pour partie de sang impérial, dans une posture de simple soldat fratri praeberet ouanti militis officium (v. 553), posture qui lui a été imposée par son père. Placer Eucher dans le cortège d’Honorius est un moyen d’amorcer la mise en place de la famille impériale qui viendra dans les vers suivants.

Honorius frappe les foules par sa jeunesse et sa beauté comme il convient à un empereur. La description insiste sur l’éclat et les couleurs, l’or du diadème (le port du diadème est relativement récent, on le voit sur les monnayages en or dès 324), le rose des joues et le vert des pierres précieuses le parent comme un jeune marié, renvoyant ainsi aux vers 525-528 et créant un lien charnel entre Rome et le prince. Claudien attribue à Honorius la beauté de Bacchus jeune (comme dans le Panégyrique en l’honneur du 3ème consulat 131-132 et celui en l’honneur du 4ème consulat 601-612), et fortes umeros et certatura Lyaeo / inter Erythraeas surgentia colla smaragdos. La mention de Bacchus renvoie implicitement, en miroir inversé, au vêtement que porte l’Éridan dans la Guerre contre les Gètes (v. 164 et ss), vêtement sur lequel était décrite l’histoire tragique de Phaéton, lié à Apollon. Ici, la trabée manifeste une richesse et un luxe (plutôt oriental) qui vient rehausser la jeunesse et la beauté du prince. L’éclat de l’une et de l’autre sont étroitement liés ; toutefois bien que richement décorée, cette trabée n’est pas qu’un simple élément ornemental, elle a véritablement une fonction consulaire. Claudien insiste sur ce point en utilisant la périphrase habitus Gabinus (v. 594) qui renvoie à la tradition romaine la plus antique. Il s’agit, en effet, d’une manière particulière de porter la toge souvent rattachée à des cérémonies religieuses primitives qui avaient trait à la célébration du limes romain.

La description d’Honorius  suscite l’admiration des femmes, une admiration teintée d’un discret érotisme qui permet, par l’emploi du vocabulaire élégiaque, par la mention de la pudeur virginale, de rapprocher ces vers des Fescennins I.

Si Honorius fait corps avec la population, il fait également corps avec son armée : les cataphractaires resplendissent du même éclat et leur vue procure un plaisir identique à celui procuré par l’apparition d’Honorius. Notons que la description des cataphractaires[1] n’a pas ici la même fonction qu’en Ruf. II, 363-364, où l’armée de Stilicon s’est positionnée pour attendre Rufin pour l’éliminer. La puissance qui s’en dégage suscite peur et effroi : Diuiso stat quisque loco : metuenda uoluptas / Cernenti, pulcherque timor. Ici, la tonalité est tout à fait différente, le contexte est un contexte de liesse, gaudet metuens. Claudien se livre alors, dans le discours direct, sur un mode interrogatif, à la description d’un petit tableau qui se concentre sur le regard, invitant à une mise en abyme du plaisir de la lecture (notamment par les notations de mouvement et d’ondoiement). Les questions de la jeune fille portent sur le caractère vivant de ces cavaliers : sont-ils forgés par la nature ( quae terra informat equos) ou par Vulcain (Lemnius auctor) ? Claudien joue de la confusion entre créature vivante et le métal (l’art de l’illusion  rejoint une des grandes thématiques de la création du poète et de sa vision du monde) qu’il résume dans la formule oxymorique simulacra uiua. La frontière fluctuante entre réel et imaginaire recèle une violence qu’Honorius ne saurait déployer puisqu’il se présente comme un empereur citoyen.

La description se prolonge par la mention du motif du paon (v. 575-577) situé sur les couvertures de soie placées sous le harnais des chevaux. La périphrase Iunonis auis renvoie certes au registre épique mais a une dimension réflexive, dans la mesure où elle est associée au verbe ornare (ornet, v.576 et picturatas). Le paon est souvent utilisé et particulièrement dans la seconde sophistique pour symboliser le chatoiement de l’écriture et son brillant.

Le poème fait alors place, en une rapide transition (tunc) à Stilicon, qui, d’une certaine manière, bénéficie de l’élan descriptif. Claudien le présente partageant le char d’Honorius, ce qui constitue un honneur insigne (v. 579 : tibi magnorum mercem Fortuna laborum / persoluit). Mais la mention même de cet honneur annonce la restriction du champ d’influence du général. Claudien tient à le faire passer au second plan pour mettre, dans ce poème, en lumière Honorius. Le vers 583 infantem genitor moriens commisit alendum n’évoque plus la double tutelle de Stilicon sur les deux parties de l’empire, comme il a pu le faire à de nombreuses reprises (In Ruf., 2, 4-6, In Eutr., II, 599-600, IV cons, 432-433 par exemple). La tutelle sur l’Orient est impossible et Honorius a désormais l’âge de régner. Par ailleurs le panégyrique s’ouvre sur la victoire contre les Gètes qui est présentée comme celle d’Honorius (même si plus loin, v. 210 et ss, le récit des batailles de Pollentia et de Vérone laisse toute la place à Stilicon), nous sommes bien loin du livre II de l’In Eutr., où l’Aurore affirmait au v. 590 que le seul espoir de salut résidait en Stilicon. Le rappel des vertus du général, qui bénéficie de l’apostrophe emphatique Stilicho, vertus dont la liste est réduite par rapport au livre II, v. 103-109, de l’éloge de Stilicon, sonne comme le développement du remerciement mercem. Les trois valeurs que retient ici le poète Fides, Constantia, Pietas, sont certes habituelles dans le genre épique et la littérature d’éloge, elles disent l’affection paternelle que porte Stilicon au prince mais elles sont aussi une injonction à laisser la place au prince (v. 587 Hic est ille puer), au nom même de ces vertus qui garantissent l’ordre et l’harmonie de l’Empire (tout au moins occidental).

La dernière étape est celle des paroles qu’Honorius doit tenir devant le Sénat (v. 590-594) mais que Claudien escamote (euocat, refert). Le poète se contente de mentionner la sincérité des paroles du prince qui relèvent de la même sincérité que celles de Stilicon : uerbis nihim fiducia celat / abnuit fucati sermonis opem.

Il est intéressant de voir que Claudien fasse l’éloge de la véracité et de la sobriété du discours d’Honorius, quand lui-même s’est attaché sur 660 vers à construire un discours qui créée une réalité, la façonne et modèle Honorius pour l’imposer comme empereur citoyen, par l’éloge même. La dimension hautement performative (au sens décrit par Austin) de ce panégyrique particulier n’a pas trouvé, comme l’Histoire le montrera, l’écho attendu par le poète chez le destinataire, ni rencontré les conditions qui en permettaient l’efficacité.

[1] Voir par comparaison la description d’Ammien, XVI, 10, 6-8 : lors de son adventus à Rome en 357, Constance II, précédé des enseignes, était escorté de soldats à l’équipement flamboyant, dont les terribles cataphractaires, cavaliers cuirassés de métal, d’or et de pierres précieuses que l’historien compare à des statues de bronze.