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Jean-Louis Charlet

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En guise de Prooemium (v. 1-25), Claudien pose le thème du panégyrique : la célébration à Rome du sixième consulat d’Honorius restaure la majesté et du consulat et de la Ville (en particulier du Palatin), qui retrouve la légalité traditionnelle (v. 1-10). L’année commence donc triomphalement sous les auspices les plus favorables (v. 11-25).

Honorius revenant à Rome en vainqueur après la victoire de Vérone, Claudien part d’une évocation de Fortuna redux (v. 1-3). Le culte de Fortuna Redux fut décidé sous Auguste par le Sénat qui, le 12 octobre 19 av. J.-C., vota de consacrer un autel à cette déesse ; il est bien attesté dans la numismatique et l’épigraphie (Dewar 1996, p. 63). Domitien lui construisit un temple sur le Champ de Mars après sa victoire sur les Sarmates en 93. Le v. 1 de Claudien peut faire écho à la pièce où Martial évoque cette dédicace (8,65,1-2) : « Hic ubi Fortunae Reducis fulgentia late / templa nitent ». Une autre réminiscence est possible : Tydée qui voue un temple à Pallas dans la Thébaïde de Stace (2,726-9 : « si patriis Parthaonis aruis / inferar et reduci pateat mihi Martia Pleuron, / aurea tunc mediis urbis tibi templa dicabo / collibus » ; cf. Juvénal 12,93-94 : « Catullus / pro cuius reditu tot pono altaria »). L’expression aurea templa caractérise dès l’époque augustéenne le luxe des demeures des dieux dans la Rome restaurée par opposition à l’humilité des origines (Prop. 4,1,5 « fictilibus creuere deis haec aurea templa » ; Ou. Am. 3,9,43 « Aurea sanctorum potuissent templa deorum » en même position métrique qu’ici ; Fast. 1,223-4 « Nos quoque templa iuuant…/ aurea »). Présentée de façon ironique en Eutr. 2,551, cette déesse païenne est ici omniprésente pour expliquer la chance d’Honorius (cf. v. 88-89) qu’elle accueille en son temple (v. 500), ou celle de l’Italie sauvée sous Marc-Aurèle (v. 340-341) et, finalement, pour récompenser Stilicon (v. 578-9). Une telle insistance ne pouvait pas ne pas être remarquée par l’auditoire de Claudien. Comment sa composante chrétienne a-t-elle réagi ?

Le retour victorieux (triomphal) d’Honorius, qui constitue un aduentus impérial (païen : Gualandri 2015 ; voir aussi Kelly 2016 [Gavin Kelly, « Claudian’s last panegyric and imperial visits to Rome », CQ n.s. 66,1, 2016, p. 336-357]), est lié à l’inauguration d’un sixième consulat (v. 4-5) : la trabée, souvent confondue dans l’antiquité tardive (cf. v. 74) avec la toga picta du triomphe, est à cette époque le vêtement consulaire d’apparat : voir Ol. 177-182 (t. II,1, p. 157 n. compl. 6 de la p. 17), 3 Cons. 3-5 (t. II,1, p. 171 n. compl. 1 de la p. 34 ; 4 Cons. 585-605 (et ma n. compl. 3), Stil. 2,340-361 ; Mc Cormick 1986, p. 89 ; M. Roberts, The Jeweled Style. Poetry and Poetics in Late Antiquity, Cornell Univ., Ithaca, New York 1989, p. 111-116 ; Gineste 2010, p. 77-112. Rome retrouve sa majesté à la fois par l’aduentus de l’empereur et par la victoire sur les Goths ( cf. Get. 571 Romanum reparate decus). Quant au consulat, qui avait été souillé par la nomination de l’eunuque Eutrope (cf. Eutr.), il a retrouvé son éclat par le consulat de Stilicon en 400 et maintenant par celui de l’empereur Honorius inauguré à Rome. Tous les mots de Claudien ont une portée politique et pour lui Rome et le consulat sont indissolublement liés.

L’évocation du consulat amène une réflexion de Claudien sur l’usage romain des élections (v. 5-10), en particulier celle des magistrats par le peuple réuni au Champ de Mars (campus = comitia, cf. Cic. De orat. 3,167) en comices centuriates, qui avait été modifiée par Auguste (Lex Valeria Cornelia de 5 apr. J.-C.), puis par Tibère (Tac. Ann. 1,15). Selon l’usage de l’époque impériale, en dépit d’une tentative prêtée à Caligula par Suétone (Cal. 16,2), le Sénat approuvait les nominations ou recommandations de l’empereur. Ici, les allusions littéraires ont une profonde résonance politique : voir Charlet 2015, première partie (« Références allusives dans le panégyrique de Claudien pour le sixième consulat d’Honorius »). Tous les commentateurs, depuis Stéphane Claverius (Paris, N. Buon / R. Foüet / veuve G.  Chaudière 1602) et Nicolas Heinsius (Amsterdam / Leyde, L. Elzevir 1650) jusqu’à la dernière édition commentée de M. Dewar (p. 66-67), ont établi un lien entre ces vers de Claudien et un passage du livre V de Lucain qui critique la façon dont César, au début de sa tyrannie, a travesti les élections républicaines (5,392-394 ; édition et traduction Bourgery, CUF, 1958, p. 150) :

… Fingit solemnia Campus
et non admissae dirimit suffragia plebis
decantatque tribus et uana uersat in urna.

“Le Champ de Mars ne garde des élections annuelles que l’apparence :
il dépouille les suffrages de la plèbe qu’il a écartée ;
il appelle les tribus et agite leur nom dans une urne vide”.

Le rapprochement entre les deux passages est précis et indubitable comme le montrent mes italiques.

D’autres parallèles mis en avant par M. Dewar sont beaucoup moins probants, que ce soit avec la Guerre civile de Pétrone à propos de la maiestas au v. 5 (Sat. 119, v. 43-44 : “sparsisque opibus conuersa potestas / ipsaque maiestas auro corrupta iacebat” : Claudien n’avait pas besoin de Pétrone pour lui suggérer dans ce contexte le concept politique de maiestas) ou à propos du retour de l’âge d’or espéré par Calpurnius Siculus (Ecl. 1,69-73 : “iam nec adumbrati faciem mercatus honoris / nec uacuos tacitus fasces et inane tribunal / accipiet consul ; sed legibus omne reductis / ius aderit, moremque fori uultumque priorem / reddet et afflictum melior deus auferet aeuum” : les deux thématiques sont proches, mais sans rapprochement précis). En revanche, Dewar a tout à fait raison d’invoquer un parallèle avec le Panégyrique de Trajan par Pline le Jeune à propos de l’observation scrupuleuse des formes légales par l’empereur qui se présente lui-même comme candidat au consulat (Paneg. 63) :

in primis… comitiis tuis interfuisti, candidatus non consulatus tantum, sed immortalitatis et gloriae, et exempli quod sequerentur boni principes, mali mirarentur. Vidit te populus Romanus in illa uetere potestatis suae sede ; perpessus es longum illud carmen comitiorum nec iam inridendam moram consulque sic factus es ut unus ex nobis quos facis consules.

“D’abord… tu as assisté aux comices de ton élection, candidat non seulement au consulat, mais à l’immortalité et à la gloire, et à donner un exemple à suivre pour les bons princes, dont s’étonner pour les mauvais. Le peuple romain t’a vu dans cet antique siège de sa puissance ; tu as supporté ce long poème des comices et une attente qui n’était plus risible ; et tu as été fait consul comme l’un d’entre nous, toi qui nous fais consuls.”

Trajan avait convoqué les comices et attendu le résultat du vote. Le Panégyrique de Trajan, modèle des panégyriques impériaux en prose du IVe siècle auxquels il a été associé dans la tradition manuscrite, était sûrement dans la tête de toutes les élites cultivées de l’époque. Claudien savait qu’immanquablement son auditoire établirait un parallèle entre le comportement de Trajan loué par Pline le Jeune et celui d’Honorius, dont la réalité historique est difficile à analyser précisément (Claudien affirme ici, mais sans en indiquer les modalités, que les citoyens romains auraient réellement et librement élu Honorius comme consul pour la sixième fois), mais qui, en tout état de cause, devait rappeler l’attitude politique de Trajan face aux institutions républicaines.

Dewar a aussi raison d’invoquer un parallèle négatif, l’Action de grâces à l’empereur Gratien par Ausone à l’occasion de son propre consulat (Grat. Act. 13 Green) :

Consul ego, imperator Auguste, munere tuo non passus saepta neque campum, non suffragia, non puncta, non loculos, qui non pressauerim manus nec salutantium confusus occursu aut sua amicis nomina non reddiderim aut aliena imposuerim, qui tribus non circumiui, centurias non adulaui, uocatis classibus non intremui, nihil cum sequestre deposui, cum diribitore nil pepigi. Romanus populus, Martius campus, equester ordo, rostra, ouilia, senatus, curia, unus mihi omnia Gratianus.

“Moi, consul, empereur Auguste, par ta faveur, je n’ai subi ni les barrières, ni le Champ de Mars, ni le scrutin, ni les cassettes ; je n’ai pas serré de mains, je n’ai pas été troublé par l’arrivée de ceux qui viennent vous saluer au point de ne pas donner leurs noms aux amis ou de leur en donner d’autres ; je n’ai point fait le tour des tribus, je n’ai point flatté les centuries, je n’ai point tremblé à l’appel des classes, je n’ai rien déposé chez le séquestre, je n’ai point conclu de pacte avec le scrutateur. Peuple romain, Champ de Mars, ordre équestre, rostres, enclos, sénat, curie, Gratien à lui seul a été tout pour moi.”

Ausone se félicitait de ne pas avoir eu besoin des suffrages du peuple romain ni d’avoir eu à passer par le Champ de Mars, puisque pour lui l’empereur Gratien lui a tenu lieu de tout (de peuple romain, de Champ de Mars…). Or c’est exactement le contraire que loue Claudien dans l’attitude d’Honorius à propos de son propre consulat : il aurait respecté les usages politiques républicains. Ausone avait exercé les plus hautes fonctions dans l’Empire et son prestige poétique était immense dans l’aristocratie romaine : qu’on songe simplement aux compliments de Symmaque pour sa Mosella. L’Action de grâces d’Ausone adressée à l’empereur Gratien devait être dans la tête et dans la mémoire des aristocrates romains, le second public de Claudien (voir Charlet 2009 B) … qui, à coup sûr, en avait conscience : il savait que son propre discours pouvait ici apparaître comme une référence polémique (Kontrastimitation) au discours d’Ausone et donc il a dû jouer de cette mémoire culturelle.

Faisons la synthèse du triple jeu de références littéraires auquel Claudien, à n’en pas douter, a convié son lecteur - auditeur : références à Lucain, à Pline le Jeune et à Ausone. L’allusion à Lucain s’appuie sur le républicanisme de ce dernier pour montrer qu’il ne faut pas suivre l’exemple de César, le fondateur d’une certaine forme d’Empire que Claudien condamne expressément dans le panégyrique pour le quatrième consulat d’Honorius (v. 309-315 : Charlet 2000, t. II,2, p. 26 Romani, qui cuncta diu rexere, regendi, / qui nec Tarquinii fastus nec iura tulere / Caesaris… ; “Tu dois gouverner des Romains qui dès longtemps gouvernent tout, / Qui n’ont pas supporté la morgue des Tarquins / Ni les lois de César”), puis dans le De bello Gildonico (v. 49-51 : ibid. p. 125 Postquam iura ferox in se communia Caesar / transtulit, elapsi mores desuetaque priscis / artibus in gremium pacis seruile recessi ; “Après que César, dans sa morgue, eut transféré sur lui / Les droits de tous, dans la décadence des mœurs, n’ayant plus l’habitude / Des anciennes vertus, je me suis retirée au sein d’une servile paix”, avec la n. compl. 4, p. 202 ) qui attaque Auguste, sous le nom de ferox Caesar, pour avoir fait disparaître les anciennes vertus (entendons “républicaines” au sens où l’entendra plus tard Montesquieu dans L’Esprit des lois) en transférant sur sa personne les iura communia, c’est-à-dire les droits de tous les citoyens : cf. ici 6 Cons. 116-118 qui critiquent Auguste pour avoir fait périr des concitoyens. Pour Claudien, César, comme Auguste, a fait fi des usages républicains ; il ne saurait donc être un exemple. La référence par contraste, sinon polémique, au discours d’Action de grâces d’Ausone pour son consulat inclut Gratien (le premier empereur chrétien à avoir refusé le titre de Pontifex Maximus, coupant ainsi le cordon ombilical entre Rome et sa religion traditionnelle) dans les empereurs autoritaires, voire tyranniques, dans la ligne de César et Auguste et confirme la condamnation de cette manière d’exercer le pouvoir impérial. En revanche l’allusion au Panégyrique de Trajan fait ressortir par contraste l’image positive que Claudien veut donner d’Honorius, soit qu’il y croie, soit qu’il veuille amener le jeune empereur à se conformer à l’image idéale qu’il donne de lui : C’est toute l’ambiguïté des ‘miroirs des princes’ (voir Charlet 2012). En tout cas, Claudien exprime ici sa conception du pouvoir impérial, qu’il la juge en voie de réalisation chez Honorius ou qu’il la propose pour que le jeune empereur s’y conforme. Et il se contente d’une allusion littéraire sans nommer explicitement Trajan. J’ai montré ailleurs (Charlet 2009 A) que Claudien estompe progressivement la personne de Trajan pour se référer non à un seul individu mais à un modèle de prince - citoyen (en quelque sorte républicain) qui s’est incarné chez plusieurs empereurs, et qu’il renonce finalement à personnaliser : il veut mettre en avant un modèle politique et non promouvoir le culte d’une personalité, quelque éminent qu’ait pu être Trajan. On voit ici toute la subtilité de ces trois allusions littéraires qui concourent à transmettre le message politique du poète.

Ce retour à un vote réel expliquerait-il, au moins en partie, la non-reconnaissance en Occident du consul désigné par la partie orientale (Aristaenetus, cf. Dewar 1996, p. 63) ? Avec Crépin (ad loc.) et Castello (1979, p. 172-3), je comprends qu’Honorius a renoncé à une mise en scène indigne qui rassemblait au Champ de Mars des étrangers pour leur faire jouer le rôle de citoyens et qu’il aurait été réellement élu (le v. 8 fait allusion à la toge ou peut-être même au vêtement consulaire : Dewar 1996, p. 69). Platnauer traduit : « nor see we a consul of other race than his electors nor a foreigner claiming pretended rights » ; mais je vois mal Claudien, qui a célébré en 400 le consulat du semi-vandale Stilicon, faire ici allusion à la nécessité pour un consul d’être de bonne race romaine. Müller et Dewar donnent à species et imago le sens abstrait de “(fausse) apparence” et d’“imitation” (Dewar 1996, p. 5 : « nor is this a shame ouf of harmony with such an assembly [pour lui, coetu est plutôt un datif], nor is the glitter that of the alien imitation of a feigned legitimacy »). Dans la perspective républicaine de Claudien, l’association du peuple et de l’armée sous l’autorité conjointe de Quirinus et de Mars (v. 9-10) est fondamentale (cf. v. 594-596 et déjà 4 Cons. 5-8 ; plus tard, Mérobaude, Pan. 2,30-33).

Ce retour à la légalité “républicaine” (v. 5-10) est lié à la fois au culte de Fortuna Redux (v. 1-5) et à la prise d’auspices depuis le Palatin (v. 11-12), donc à des cultes ou pratiques spécifiquement païens. Claudien fait allusion à l’augure des douze vautours aperçus par Romulus, selon la version la plus commune, du Palatin (mons Euandrius [pour l’adjectif Euandrius, voir Dewar 1996, p. 71]) : Liu. 1,7,3 ; Verg. Aen. 8,51 sqq. ; et, à propos du dix-septième consulat de Domitien, Stat. Silu. 4,1,7-8. De même que pour les douze vautours aperçus par Auguste, comme Romulus, lors des auspices de son premier consulat (Suet. Aug. 95), Claudien suggère que les auspices pris pour le sixième consulat d’Honorius marqueront une année de bonheur. La mention de cette prise d’auspices, en contradiction au moins apparente avec les dispositions légales prises par Théodose, Arcadius et Honorius lui-même contre les cultes païens (Cod. Theod. 16,10,12 à 18), établit pour l’auditoire de Claudien une filiation Romulus, Auguste, Honorius. Le lien entre un consulat d’Honorius et la félicité de Rome (v. 13-17) a déjà été développé en 3 Cons. 87-88 (en référence à la bataille du Frigidus lors du deuxième consulat d’Honorius en 394) et en 4 Cons. 619-642. Les contemporains pouvaient mettre en rapport la victoire sur Gildon avec le quatrième consulat (398) et celle sur Alaric (Pollentia, 402) avec le cinquième consulat d’Honorius. Comme Heinsius, Gesner et bien d’autres, je conserve la leçon qualitativement la mieux attestée nomine (v. 17), contre numine, lectio facilior qui domine dans la vulgate (manuscrits issus de l’édition posthume commanditée par Stilicon). La confusion entre les deux mots est très fréquente dans les manuscrits. L’empereur et la Ville de Rome sont certes des numina. Mais le consul donne son nom à l’année et, comme la prise de fonction a lieu (exceptionnellement pour l’époque) à Rome, les noms de Rome et d’Honorius sont associés pour assurer la félicité de l’année : cf. v. 460. Thème commun dans la propagande impériale : temporum felicitas… (voir MacCormack 1981, p. 32-33, 191 et 218) et urbs Roma felix sur le monnayage d’Arcadius, Honorius et Théodose II (Al. Cameron, HSChP 73, 1969, p. 258).

Approfondissant sa réflexion sur la felicitas de l’Empire (v. 18-25), Claudien se fonde sur un parallèle avec l’astrologie (comparaison à valeur conclusive) qui a pu choquer certains chrétiens (quelques années plus tard, saint Augustin s’attaquera à cette croyance païenne dans le livre 5 de la Cité de Dieu), Claudien pose une affirmation politique capitale à ses yeux : Rome est le zénith (summo… cardine, v. 20-21 ; cf. Lucain 9,528) de l’Empire et c’est quand l’empereur est lui-même au zénith (= quand il réside à Rome sur le Palatin) qu’il peut pleinement assurer la felicitas de l’Empire. L’astrologie est traditionnellement liée à Babylone et aux Chaldéens (cf. v. 248 et déjà Ruf. 1148-9 ; 4 Cons. 146-147) : Cic. Diu. 1,93; Lucr. 5,727; Vitr. 9,2,1 et 8,1; Lucan. 6,428. Pour les païens, les caelicolae désignent les puissances célestes : Apul. Plat. 1,11 astra… ceteraque numina quos caelicolas nominamus ; cf. Verg. Aen. 6,787 omnis caelicolas, omnis supera alta tenentis. L’expression stellas… salubres (v. 18) est empruntée à Hor. Sat. 1,7,24 à propos de Persius qui appelle ainsi ses amis. Signifer désigne le Zodiaque (Rapt. 1,102 ; Ol. 241 et ma note a ; Ruf. 1,365 ; Stil. 1,145), mais renvoie ici allégoriquement à Stilicon. Ingénieuse interprétation de Müller sur ce point : Stilicon est en même temps le porte-enseigne de l’armée romaine et celui qui porte l’empereur Honorius, astre de l’Empire, métaphore politique banale à partir de l’époque hellénistique : à Rome, cf. le sidus Iulium ; chez Claudien, voir en particulier le catastérisme de Théodose en 3 Cons. 163-174 et dans les panégyriques impériaux, lié à l’aduentus, cf. Ménandre, Spengel III,378 et 381 (MacCormack 1981, p. 20-21 et Dewar 1996, p. 77-78).

Contre Heinsius suivi par Hall et Dewar, je ne vois aucune raison de remplacer au v. 21 la leçon quasi unanimement transmise recondunt par retundunt (« émoussent leurs rayons »), qui n’est attesté que par un manuscrit du XIIIe s. C1 et appuyé par un seul autre (recundunt K). On notera au v. 23 la clausule virgilienne sede locauit (Aen. 2,525), reprise par Corippe (pr. Iust. 20).

Après cette introduction, le premier mouvement du panégyrique pourrait s’intituler « Honorius et Rome » (v. 25-100). Un parallèle entre Apollon et Honorius, entre le sanctuaire de Delphes et le Palatin, permet d’affirmer ce dernier comme le centre du pouvoir : de même que Delphes retrouve, avec le retour d’Apollon, toutes les facultés prophétiques qu’elle avait perdues à son départ (v. 25-34), de même le Palatin rend ses oracles quand son dieu (l’empereur) y réside (v. 35-38) : au-dessus du reste de la Ville avec ses temples et ses trophées, ce lieu est le seul centre du pouvoir (v. 39-52).

L’expression traditionnelle pulcher Apollo (Verg. Aen. 3,119 en clausule comme ici ; cf. aussi Calp. Ecl. 4,57) annonce probablement le pulcher Stilicho qui aux v. 455-456 accourt de l’Arctique comme Apollon revient de chez les Hyperboréen. Sur les monts Riphées (v. 31) de Scythie, associés aux Hyperboréens, voir Rapt. 3,321-2 (et ma n. compl. 2 de la p. 75), 3 Cons. 149 (et ma note b), Ruf. 1,242 (et ma note c), Eutr. 2,151, Stil. 1,123-124. Les griffons (v. 30), lions à tête d’aigle, sont eux aussi associés aux Hyperboréens (Hérodote 4,13 ; Apul. Met. 11,24 ; Seru. Ecl. 8,27 ; cf. Carm. min. 31,8), mais Pline doute de leur réalité (Nat. 10,136) ; pour le lien entre les griffons et le Soleil-Apollon, voir E. Simon, Latomus 21, 1962, p. 749-780.

Fervents d’Apollon, les Hyperboréens (cf. Stil. 3,256) ou peuples de l’extrême nord (Scythie) sont renommés pour leur félicité. Apollon allait passer l’hiver (= soleil hivernal) dans le grand temple qu’ils lui avaient consacré (Hérodote 4,13 et 32 sqq.). La tristesse, puis la joie de Delphes selon qu’Apollon est chez les Hyperboréens ou de retour chez elle ont été chantées dans le péan d’Alcée qu’analyse Himérios (Or. 48,10-11) ; cf. aussi Apollonios, Arg. 2,674-5 et 4,611-2 et Pausanias 10,5,7-9 (pour d’autres références, Dewar 1996, p. 79-80). Par ce parallèle avec Apollon, Claudien suggère qu’Honorius, d’astre de l’Empire (v. 23), est devenu soleil : comme aux v. 18-25, le macrocosme cosmique est en phase avec le microcosme terrestre. Mais il insiste surtout sur sa fonction oraculaire : ainsi le Palatin (avec son temple d’Apollon) l’emporte sur Delphes (v. 35-38) ; pour la fontaine de Castalie au pied du Parnasse (v. 27), voir pr. Ruf. 2,7-8 et ma note g (ajouter Stat. Silu. 5,5,2 et Theb. 8,175-6) ; on notera le lien traditionnel entre l’inspiration poétique et la mythologie. À plusieurs reprises dans ce poème, Claudien revient sur le lien étroit qui unit Honorius au Palatin (v. 8, 11-12 …). L’encadrement du vers par lustrat… aras peut évoquer Verg. Aen. 3,279 lustramurque… aras, mais la syntaxe du vers et le sens de lustro sont différents. Claudien se place ici aux temps mythologiques. À son époque, l’oracle se tait depuis longtemps (Cic. Diu. 1,37-38 ; 2,117 ; Lucan. 5,64-70; Plutarque De defectu oraculorum 414 A-C), malgré les efforts de Julien l’Apostat (Amm. 22,12,8) ; comparer le silence de l’antre d’Apollon (v. 29) avec la même réaction chez Stace à la mort d’Amphiaraüs en Theb. 9,657-8 (pour recessus à propos de l’antre de la Pythie, Carm. min. 3,2, cf. Stat. Theb. 1,509). Pour les chrétiens, ce silence a été provoqué par la naissance du Christ (Prud. Apoth. 435-443). Mais Claudien avait déjà écrit qu’à la naissance d’Honorius les oracles avaient rompu leur silence, et en particulier Delphes (4 Cons. 143-4 et aussi, à propos de Dodone, 3 Cons. 117-8).

La présence de la divinité peut susciter un frisson sacré sur les eaux comme sur les arbres (v. 32-33). Stace emploie la même expression sacer horror à propos d’un serpent (Theb. 5,505), mais chez lui l’horror est celle qu’inspire le serpent. Anaphore analogue de tunc (au v. 32, tum imprimé par Hall n’est donné par aucun manuscrit !) aux v. 304-305 ; pour uiuere ou uiuus à propos de fontes, Ou. Met. 3,27 ; Stat. Silu. 1,2,155. On comparera cette épiphanie du dieu, avec ses manifestations sonores, à Verg. Aen. 3,90-92 (à propos de Délos) et Ou. Met. 15,634-6 (à propos de Delphes). Sidoine Apollinaire rivalisera avec Claudien (Carm. 2,307-9 ; 22,66-71 et Epist. 8,9 v. 8-10). C’est Apollon qui rend doctae les roches (v. 34).

L’aduentus de l’empereur est assimilé à celui d’un dieu (P. Dufraigne, Adventus Augusti, Adventus Christi, Paris 1994, p. 178), mais, en bonne rhétorique, Honorius surpasse Apollon. Comparer Stat. Silu. 4,1,23-27 à propos du dix-septième consulat de Domitien (et v. 5 exultent leges Latiae : cf. ici v. 36 et 4 Cons. 4). Pour l’emploi courtisan, mais bien en situation dans ce parallèle avec Apollon, d’oraculum à propos des actes juridiques du prince (v. 37), cf. Theod. 35 et ThLL, s. u., 873,9 sqq. (Symm. Rel. 16,2…). Le laurier d’Apollon (v. 38) est bien adapté à l’aduentus triomphal du nouveau consul. Mais, par l’emprunt à Ovide de l’expression iubet reuirescere en même position métrique, Claudien assimile en outre Honorius à Jupiter qui fait renaître le monde après les ravages provoqués par Phaéton (Met. 2,408 : « laesasque iubet reuirescere siluas »). On notera qu’un peu plus loin l’Éridan, dont le manteau porte l’image brodée de Phaéton (v. 165-166), compare Alaric à Phaéton (v. 186-192) : ce mythe court dans le texte comme un fil de trame.

Le thème des Pénates, du Lare et du Foyer est lui aussi récurrent : v. 53, 407-408, 603-6044 (et Stil. 3,125-9) ; cf. Stat. Silu. 4,2,25-26 et Amm. 16,10,13 qui appelle Rome imperii uirtutumque omnium larem. Mais Claudien parle ici très précisément du Palatin (v. 35) qu’occupe le palais impérial (v. 42 regia), seul centre véritable du pouvoir et du droit (v. 39-41). La fin de vers fastigia iuris (v. 41) se lisait déjà en Ol. 58 (à propos de la préfecture du prétoire, avec summi en même position métrique) et Stil. 2,313 (à propos du consulat).

Le palais du Palatin domine la Rome païenne et victorieuse (v. 42-52) : Claudien retient essentiellement les temples et les statues, avec les grands dieux qui montent la garde d’un côté (v. 43-44, cf. Virgile, Aen. 4,201, qui avait employé l’expression excubias diuom aeternas à propos d’un feu sacré ; avec Dewar 1996, p. 91, je pense qu’il est ici préférable de conserver à tantis son sens classique, même si tanti prend fréquemment le sens de tot à partir de l’époque impériale et chez Claudien lui-même, e. g. Ruf. 1,224 et note de Levy ad loc.), les arcs de triomphes, les trophées et les dépouilles prises à l’ennemi de l’autre. En outre, la présence des Géants (v. 44-46) évoque le triomphe de Rome sur les barbares. En dépit de l’argumentation de L. Jeep (RhM N.F. 27, 1872, p. 269-77) qui croit que gigantas désigne non les Géants, mais des statues colossales qui se dressaient sur le Capitole, il est difficile de ne pas y voir une allusion au thème obsessionnel chez Claudien de la gigantomachie (voir mon t. I, p. 95 n. compl. 1 de la p. 11 et passim), à laquelle viennent de se référer les v. 17-20 de la préface et qui symbolise pour lui la révolte d’Alaric (voir v. 185-6 et Get. 62-76). Il faut donc supposer, même si la description de Claudien est trop impressionniste pour permettre une reconstitution précise, une œuvre d’art représentant les Géants vaincus par Jupiter, qui semble tomber du temple de Jupiter Capitolin (plutôt que de celui de Jupiter Tonnant : cf. Stat. Silu. 4,2,20-22 à propos de Jupiter Capitolin stupéfait par le palais de Domitien: stupet hoc uicina Tonantis / regia teque pari laetantur sede locatum / numina) qui domine la colline au dessus de la Roche Tarpéienne. Contra Jeep, Tarpeia rupes est ici une métonymie poétique pour désigner le Capitole : Lucan. 1,196 et 3,154 ; cf. Verg. Aen. 8,652 ; Stat. Silu. 5,3,196 ; Sil. 12,609 et 13,1-2 et, chez Claudien, Gild. 30 et Stil. 1,214. Tarpeius est souvent synonyme de Capitolinus (Dewar 1996, p. 92-93). Claudien contamine ici deux passages de Lucain : 1,195-6 « o magnae qui moenia prospicis urbis / Tarpeia de rupe Tonans » et 435 « cana pendentes rupe Cebennas ». Faut-il, avec Müller (ad loc.) supposer que c’est sur ces portes ciselées  (v. 46) qu’était représentée la gigantomachie (en interprétant -que comme une épexégèse copulative), de même que les portes du temple d’Apollon sur le Palatin représentaient Brennus et les Gaulois repoussés de Delphes (Prop. 2,31,12-14) ? S’il s’agit bien des portes du temple de Jupiter Capitolin, Zosime (5,38,5) écrit que quelques années plus tard, à un moment où il durcit sa position contre les païens (au printemps 408 ? Voir la n. 89 de l’édition de F. Paschoud, C. U. F., Paris 1986, p. 266-8), Stilicon fit arracher les plaques d’or de ces portes ! Plutôt qu’à des enseignes / drapeaux flottant au vent (première interprétation de Barth suivie notamment par Crépin), signa doit désigner ici les statues sur les toits des temples ou en haut de colonnes que, par une hyperbole poétique (cf. inmanibus au v. 49), Claudien représente comme volant au milieu des nuages (deuxième interprétation de Barth, suivi notamment par Gesner et Dewar). Cette évocation des dieux d’en-haut, qui semblent voler (associés à l’oxymore densum aethera), contraste bien avec l'évocation des Géants qui semblent, eux, tomber du temple de Jupiter, les deux mots Gigantes et signa s’opposant en fin de vers (v. 45-46). Le v. 48 fait référence non à la tribune des Rostres (cf. v. 42), comme le voulait Müller, mais aux colonnes rostrales, c’est-à-dire ornées des éperons d’airain (Verg. Georg. 3,29 nauali surgentes aere columnas) des navires pris à l’ennemi, par exemple celles de C. Duilius après la victoire de Myles sur les Carthaginois en 260 av. J.-C. (Plin. Nat. 34,20) ou surtout de M. Aemilius sur le Capitole (Liu. 42,20). Comme le suggère Hall dans son apparat critique, puppis désigne ici les rostres, même si ceux-ci étaient fixés à la proue (Ou. Met. 8,103 aeratas… puppes).

Le thème de la nature domptée et embellie par la main de l’homme (v. 50) est cher à Stace : e. g. Silu. 2,2,52-59 (Z. Pavlovskis, Man in an Artificial Landscape, Leiden 1973 ; pour Ausone, voir Fl. Garambois-Vasquez, Natura delectat. Ars et Natura dans la création poétique d’Ausone, Presses universitaires de Saint-Étienne, 2018). Mérobaude reprendra littéralement l’hémistiche de Claudien (Pan. Aet. 155) à propos de fortifications militaires. Les arcs de triomphe étaient décorés des dépouilles militaires ou trophées (v. 50-51) : Lucan. 8,819 ; Suet. Claud. 1,3 ; Claud. Stil. 3,67. La notation finale (v. 51-52) exprime l’éblouissement (pour l’alliance acies obtunditur aux v. 51-52, Plin. Nat. 22,142 aciem obtundit) que Claudien veut faire partager à son auditeur / lecteur devant la richesse de cette aurea Roma traditionnelle… et même païenne.