331-383

Bruno Bureau

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La section qui couvre les vers 331-383 se situe après l’exact milieu du texte. Le panégyrique, comptant 660 vers, le vers 331 constitue l’exact début de la seconde moitié du discours, et marque un changement de perspective : Acrior interea uisendi principis ardor / Accendit cum plebe patres et saepe negatum / Flagitat aduentum (« pendant ce temps une ardeur plus vive de voir le prince enflamme avec la plèbe les sénateurs et elle demande une venue souvent refusée »). Faisant suite immédiatement ou presque à un discours désespéré d’Alaric, ce moment marque nettement une bascule : la première partie du texte s’était achevée sur la mise en scène de la déroute complète des Goths et le désespoir de leur chef, la seconde, qui comprendra effectivement le récit de l’adventus d’Honorius à Rome et des cérémonies triomphales qui vont l’accompagner, s’ouvre ici avec l’affirmation claire d’un changement de perspective. Nous sommes désormais dans le camp romain, cum plebe patres, et l’enjeu de toute la seconde partie sera précisément de faire advenir le saepe negatum aduentum. Ainsi, alors que la section 1 s’était terminée sur l’issue victorieuse de la guerre  pour les armes romaines, la seconde partie s’ouvre sur la célébration de la paix retrouvée, qui aboutira à l’adventus et à la célébration du consulat du prince.

Toutefois, la structure de ce début de seconde partie repose sur une série de morae que le poète ménage, avant que le prince finalement n’accède à la demande de ses sujets au vers 427. Le premier retard à la venue du prince (333-355) est le fait d’un commentaire du poète lui-même qui développe longuement l’ardor des Romains par une longue comparaison avec l’ardeur qui animait les mêmes Romains de voir revenir à Rome Trajan et Marc Aurèle, deux optimi principes, avec lesquels Honorius se trouve de fait comparé. Ce très long développement pourrait paraître totalement gratuit, mais nous verrons au contraire qu’il est lourd de conséquences sur l’image du prince que le poète veut imposer. Le second retard, qui occupe toute la fin de notre passage et au-delà, résulte d’une mise en scène qui rappelle les vaines tentatives pour faire venir le prince à Rome, et entraîne l’entrée en scène de la dea Roma elle-même venant réclamer ce que l’on refuse à ses sénateurs (356-357 : Iam totiens missi proceres responsa morandi / Rettulerant « déjà tant de fois envoyés, les Grands avaient rapporté une réponse dilatoire »). On notera d’emblée, à la lecture du vers 356, qu’il n’est pas précisé auprès de qui ces Grands ont été envoyés : est-ce le seul Honorius ou s’agit-ils des princes qui, hormis la venue à Rome de Constance II en 357 et celle de Théodose en 389, ont délaissé la Ville ? La mention d’un triomphe sur Gildon, préparé mais non réalisé (vers 366 et suivants), pourrait justifier une lecture de ces vers comme portant sur le seul Honorius, mais un élément invite à lire plus largement. Au vers 356, Claudien écrit que les ambassades pour demander au prince de revenir à Rome ont eu lieu totiens (« tant de fois »). Au vers 366, il écrit pour le triomphe de Gildon : Nonne semel spreuisse satis (« N’est-ce pas assez d’avoir refusé une seule fois ? »). Il nous semble que cette espèce d’incohérence (tant d’ambassades et un seul refus) pointe vers un élément essentiel de ce passage : ce n’est pas seulement l’absence d’Honorius à Rome que vise Claudien, mais plus généralement l’éloignement du prince de l’ancienne capitale.

Si on lit ainsi, il s’opère alors dans notre passage une gradation intéressante qui explique les morae : le senatus populusque Romanus réclament le prince (331-333), l’attitude de Trajan et de Marc-Aurèle impose la venue à Rome de l’empereur comme la marque des optimi principes (333-355), Rome elle-même, en tant qu’instance politico-divine, ne peut que souffrir de l’absence du prince (356-383), qui, en ne venant pas triompher, remet en cause la tradition triomphale elle-même et sans doute plus largement ce qui garantit la Victoria aeterna, l’acte religieux qui accompagne le triomphe en action de grâces aux dieux pour la victoire qu’ils ont donnée. Il se crée ainsi une triple contrainte qui pèse sur Honorius pour qu’il vienne à Rome (et, nous le verrons ultérieurement dans le panégyrique, y réside) : la structure politique de l’État romain l’exige (Sénat et peuple), la tradition impériale l’impose pour être un optimus princeps (Trajan, Marc-Aurèle), l’accomplissement exact des religiones dues à la dea Roma en fait une obligation et la colère de la déesse se manifeste sans détour aux vers 362 (queror) : la déesse a à se plaindre d’Honorius et le lui dit de façon très directe.

Le passage a donc une forte unité qui donne le ton de la seconde partie du discours : Honorius, grâce à la victoire qu’il vient de remporter, a sauvé l’empire militairement, il doit maintenant réparer la fonction impériale que ses prédécesseurs ont amoindrie en la coupant de Rome (sauf Théodose qui se trouve épargné à la faveur de son séjour de 389 et surtout de l’image de princeps ciuis qu’il a su donner). En procédant ainsi, Claudien réoriente subtilement son panégyrique, en le faisant glisser de ce qu’Honorius a déjà accompli (et pour lequel il mérite largement les honneurs du triomphe), à ce qu’il doit faire maintenant, et surtout à celui qu’il doit être, pour répondre aux attentes de ses sujets.

La relation entre le prince et Rome : la mise en scène d’une nécessaire intimité.

 

Dans les deux segments qui caractérisent l’état d’esprit dans lequel sénat et peuple d’abord puis Rome ensuite réclament la venue de leur prince (331-333 et 361-366) apparaît une relation affectivement forte entre le prince et la cité[1] : l’ardor qui anime les sénateurs et les enflamme (accendit) est exprimé en termes volontairement forts[2] et utilisés dans d’autres contextes pour la passion amoureuse sur le modèle d’Ovid. epist. 16, 311-314 par exemple[3] où Pâris déclare à Hélène, pour la conduire à profiter des facilités que, bien malgré lui, leur laisse Ménélas : « Supposons que ni ma voix ni mon ardeur (ardor) ne te poussent à agir (incitet) ; nous ne pouvons faire autrement que de profiter de l’opportunité qu’il nous donne lui-même ; nous serions des idiots, bien plus idiots que lui, si nous laissions filer, sans rien faire, un moment aussi dépourvu de danger »[4]. Cette lecture affective se retrouve clairement dans les mots qu’utilise la déesse où se mêlent amour déçu (tristes in amore repulsas) et jalousie (praelatus Ligus) d’une parente délaissée (spreuisse) à qui l’on refuse le juste plaisir (gaudia) de la présence de l’être aimé (propinqua luce frui)(361-366) : Dissimulata diu tristes in amore repulsas / Vestra parens, Auguste, queror. quonam usque tenebit / Praelatus mea uota Ligus? uetitumque propinqua / Luce frui, spatiis discernens gaudia paruis, / Torquebit Rubicon uicino numine Thybrim? / Nonne semel spreuisse satis[5]. On observera d’ailleurs que la mention du lien familial, uestra parens, au milieu de ces thèmes à connotation affective introduit un thème qui explique la violence de la réaction de la Roma derelicta. En négligeant sa parens, Honorius contrevient de façon nette à la nécessaire pietas erga parentes, élément essentiel avec la pietas erga deos et la pietas erga patriam de l’excellence morale romaine La déesse peut ainsi situer le refus du prince dans une forme d’impiété qui, alors qu’il en a le pouvoir, refuse de faire droit aux prières de Rome, autrement dit refuse de lui accorder les devoirs que lui imposent la pietas (368) : Nec duras tantis precibus permouimus aures? (« n’avons-nous pas par de si grandes prières ému tes oreilles[6] ? »).

La rupture du lien qui unit le prince à la Ville n’est donc pas seulement considérée comme une faute politique : si elle perdurait, elle mettrait en évidence une insensibilité du pouvoir impérial, qui relèverait de la perte de conscience de ce que représente Rome. Le prince n’a pas avec Rome la même relation qu’avec les autres villes et l’excursus historique proposé par le poète autour des optimi principes va mettre en évidence ce thème à travers la figure de l’empereur triomphateur retournant à Rome.

Les exempla de Trajan et Marc Aurèle, fragments d’un discours politico-théologique sur l’optimus princeps.  

Le mécanisme de la synkrisis est clairement explicité au début de la section : nec tali publica uota / Consensu tradunt ataui caluisse per urbem (« et, (disent nos ancêtres) il n’y eut pas pareil consensus à travers la Ville pour enflammer les vœux du peuple »). Dans la suite immédiate de ce que nous venons de dire, des termes pouvant porter une connotation affective caluisse, uota se trouvent mêlés cette fois à des mots marquant la dimension politique de la requête, publica, consensu. Les publica uota, point de rencontre entre les deux registres, peuvent directement renvoyer à une démarche officielle, celle par exemple de voter pour le prince les honneurs du triomphe en même temps qu’on l’invite à Rome. On retrouve donc bien les deux dimensions : montrer de la pietas envers Rome, c’est avant tout accepter de se conformer aux institutions et aux traditions ancestrales de la Ville.

Les deux optimi principes convoqués pour persuader Honorius ne sont pas traités de manière égale dans la comparaison, mais selon une gradation, quatre vers étant consacrés au retour de Trajan et douze, soit trois fois plus, au retour de Marc-Aurèle[7]. L’image de ce prince est d’ailleurs, dès l’introduction de son personnage dans la synkrisis, différente de celle de Trajan. Là où pour celui-ci il était question d’un consensus per urbem sans précision de ce que le prince ferait une fois de retour à Rome, Marc est ad templa uocatus(« appelé vers les temples »[8]), expression à double entente : Marc est appelé pour venir rendre grâce aux dieux pour sa victoire, mais on peut aussi entendre qu’il est appelé, en raison de ses exploits, à entrer « dans les temples », au nombre des dieux, selon la tradition ancestrale de la relatio inter diuos. Cette différence nous semble essentielle et mettre, en plus des autres indices déjà notés, la figure de Marc-Aurèle très en avant de celle de Trajan et de sa victoire contre les Daces[9].

Toutefois, avant de voir comment le poète traite la figure de Marc-Aurèle, observons que le recours à Trajan est loin d’être innocent. Dans 4 Honor., Claudien rappelait, en y accordant évidemment foi, que Théodose prétendait descendre de Trajan[10], ce qui fait de cette allusion une forme de rappel de la pietas erga parentes : si Honorius est bien le descendant de Trajan qui, bellipotens comme lui, a brisé les Getica arma, il doit à la mémoire de son grand ancêtre de se comporter comme lui, ce qui sera d’ailleurs confirmé à la fin du texte où le prince visite le forum de Trajan[11]. Mais il semble tout aussi évident que ce rappel de l’adventus de Trajan après ses victoires obéït à une logique plus profonde en lien avec le Panégyrique de Pline. Il s’agit de ranimer, à travers cette simple allusion, le souvenir du passage entier qui illustrait cette venue, en ce qu’il fournit au poète l’exacte image qu’il veut donner du prince ou lui imposer, car l’évocation de Pline se termine par des mots qui pourraient très exactement définir le propos de Claudien dans le panégyrique (Plin., paneg. 20, 6) : Praeterea futuri principes, uelint nolint, sciant tamen, propositisque duobus exemplis meminerint, perinde coniecturam de moribus suis homines esse facturos, prout hoc vel illud elegerint[12]. Or les deux attitudes opposées sont celles de Domitien, le tyran autocrate qui ne respecte nullement ses concitoyens[13], et Trajan l’empereur citoyen qui se comporte comme tel y compris dans son adventus[14]. Le rappel de Trajan sert ainsi, à travers le thème de la gloria gentis joint à celui de la pietas erga parentes, à conditionner à la fois la venue du prince à Rome et les modalités mêmes de cette venue, telles qu’elles seront ensuite décrites dans le panégyrique.

L’allusion à Marc-Aurèle est encore bien plus complexe et sans nul doute suffisamment importante aux yeux du poète dans l’économie de son texte pour qu’il lui accorde un long développement. Les prodiges décrits par Claudien se rattachent à la campagne contre les Quades et les Marcomans et peuvent appartenir à l’année 172 ou 173. Le rapport avec les opérations de 402-403 est évident, puisque les peuples concernés s’étaient suffisamment avancés en Italie pour mettre le siège devant Aquilée, comme Alaric et les siens, et s’étaient même emparés de Ravenne, avant d’en être délogés et chassés d’Italie[15]. Pour l’occasion, Claudien reprend le célèbre prodige de la pluie, illustré sur la colonne aurélienne, mais en s’accordant d’assez grandes libertés avec le récit original, tel qu’illustré sur la colonne et raconté, peu avant Claudien, par l’Histoire auguste[16] : ce qui était le fait de deux prodiges distincts (foudre qui s’abat sur une machine et pluie miraculeusement obtenue) devient une pluie de feu, flammeus imber (vers 342), dans un récit d’autant plus spectaculaire avec ses détails merveilleux (vers 342-346) que le commentaire du poète va désamorcer l’intérêt de ce prodige en soulignant que finalement les soldats n’ont pas eu grand-chose à faire[17], puisque ce sont des puissances surnaturelles, certes mues peut-être par les mérites insignes du prince, qui ont en fait mis en déroute l’ennemi (347-350) : Tum contenta polo mortalis nescia teli / Pugna fuit: Chaldaea mago seu carmina ritu / Armauere deos, seu, quod reor, omne Tonantis / Obsequium Marci mores potuere mereri[18]. Au contraire, verrons-nous, Alaric ne doit sa défaite qu’au bras victorieux du héros Stilicon.

L’intérêt de cette évocation de Marc-Aurèle, la seule de l’œuvre de Claudien, peut résider, plus que dans l’occasion d’un tableau merveilleux et d’une synkrisis toute à la gloire de Stilicon, dans l’implicite du choix de ce prince devant un auditoire en partie chrétien. Déjà Tertullien avait (Apol. 5, 5) raconté le prodige de la pluie, mais il l’attribuait, de l’aveu même du prince, à Christianorum forte militum precationibus impetrato imbri (« une averse obtenue, si cela se trouve, par les prières de soldats chrétiens »). Dix ans environ après que Claudien a écrit son texte, Paul Orose reprend ce prodige (7, 15, 8) dans ce qui est une interprétation ouvertement chrétienne et exactement contraire à celle que donne Claudien : « quant au fait que cette guerre ait été conduite avec le secours de la providence de Dieu, entre autres très nombreux arguments, cela apparaît avec la plus grande clarté d’une lettre de cet empereur si austère et si modeste. … L’armée avait été encerclée par l’ennemi et, en raison du manque d’eau, souffrait plus du danger de la soif que de celui des ennemis ; à l’invocation du nom du Christ, que soudain, avec une grande constance dans leur foi, certains soldats, se répandant en prières, avaient fait retentir devant tous, il tomba une pluie d’une telle force que, tandis qu’elle refit très largement les forces des Romains sans les blesser, elle mit en fuite les barbares terrifiés par les nombreux coups de la foudre, surtout quand elle en eut tué un grand nombre[19] ». Tout porte donc à croire que le récit de ce prodige s’adresse aussi indirectement à son auditoire chrétien, dans le but d’affirmer clairement que leur Dieu n’y est pour rien, et que ce secours vient des dieux traditionnels de Rome et de la pietas romaine du prince. L’allusion au clemens Marce (vers 340) peut alors sonner comme un rappel que Marc, même s’il n’avait absolument aucune affinité avec les chrétiens, sut se montrer (relativement) ouvert et tolérant envers une religion qui n’était pas la sienne, comme l’attestent Tertullien et Orose. Un exemple à suivre pourrait-on être tenté de dire...

Il y a ici plus que Trajan et Marc-Aurèle…

 

La conclusion de la synkrisis ramène ces exempla à leur « juste mesure », autrement dit à l’exaltation du présent, nunc quoque (vers 351), bien plus remarquable et héroïque que tout ce que l’Antiquité peut raconter. Toutefois le retour au présent, après ce que vient de dire le poète, n’est pas sans risque : s’il affirme qu’Honorius et Stilicon ont vaincu par leur seule bravoure, il remet en question la protection des dieux civiques ; si, au contraire, il insiste sur l’action surnaturelle des dieux traditionnels pour protéger Rome, il s’enferme dans sa propre conclusion : laus nulla ducum.

Claudien trouve alors, dans une forme de prétérition, un dispositif fort ingénieux qui ménage les deux éléments tout en fournissant une théologie de la victoire (païenne évidemment) parfaitement acceptable. La séquence au potentiel du passé ou irréel du présent[20] Nunc quoque praesidium Latio non deesset Olympi, / Deficeret si nostra manus[21] introduit le thème de la protection divine traditionnelle qui entoure l’imperium des généraux romains, et glisse discrètement dans le passage le thème de la Victoria aeterna promise aux armes romaines. Mais c’est dans la suite qu’éclate toute l’habileté du poète : en introduisant la providence, prouidus aether (vers 352), il rappelle la prouidentia deorum de la religion traditionnelle, mais sans lui faire prendre la place des héros : la prouidentia deorum n’agit pas en lieu et place des hommes, elle leur ménage des actions, humano labori (vers 353 repris par sudore vers 354), qui leur permettront de montrer leur héroïsme, meruit uirtus (vers 355), et d’en récolter les fruits : laurum quam meruit uirtus (même vers).

Honorius a donc bénéficié d’une prouidentia deorum plus favorable que celle qui avait entouré Marc : le prince antonin avait gagné sa gloire grâce à l’action directe des dieux, le fils de Théodose et son beau-père l’ont gagnée car la providence divine leur a permis, en les guidant sans les remplacer, de montrer leurs éclatantes vertus. Sans doute est-ce ainsi qu’il faut comprendre l’étrange couplet 354-355 : Ne tibi iam, princeps, soceri sudore paratam, / Quam meruit uirtus, ambirent fulmina laurum[22]. Mais l’expression fulmina ambirent demeure d’autant plus étrange qu’autant qu’on puisse le savoir c’est une création de Claudien[23]. Le sens du verbe laisse planer une ambiguïté. Si l’on peut comprendre « entourer » avec allusion au feu qui s’abattit autour de l’armée de Marc sans la blesser, mais en faisant des ravages sur l’ennemi, on peut aussi ‒ et surtout en contexte ‒ entendre « briguer, solliciter » et comprendre alors que ce que la prouidentia deorum a voulu éviter, c’est qu’un phénomène naturel dispute à Stilicon la gloire de la victoire sur les Goths. Ainsi, les trois princes se trouvent placés en gradation : Trajan est présenté comme un prince conquérant de nations extérieures, mais aucune allusion n’est faite au secours divin, Marc défend l’Italie contre des envahisseurs (ce qui est plus immédiatement utile), mais ce sont les forces divines qui lui assurent la victoire, Honorius, comme Marc se trouve défendre l’Italie contre un envahisseur, mais les forces divines manifestent sa valeur et celle de son beau-père en n’intervenant pas, car il n’en est pas besoin ; toutefois, il va de soi que cette absence de surnaturel ne doit pas être interprétée comme un faiblesse des dieux romains (d’où le renvoi à Marc et à ses prodiges), mais comme une disposition particulière de la prouidentia deorum

Le sens de ce premier retard placé entre le désir du Sénat et du peuple et la décision du prince de venir à Rome s’éclaire alors : le poète en profite pour exposer à la fois une théologie de la Victoire impériale qui soit en stricte conformité avec le mos maiorum et la religion traditionnelle, et propose deux exemples d’optimi principes qui exaltent une forme de gouvernement qui soit à la fois celui d’un prince citoyen et celui d’un prince qui tolère la religion de tous, même si elle n’est pas la sienne, dans la mesure où il bénéficie de la protection même de ces dieux, comme le montre à l’évidence à la fois l’histoire de Rome et la récente campagne. Maintenant que le prince et sa cour ont entendu cette petite leçon d’histoire et de respect des traditions du triomphe more maiorum, le poète peut faire intervenir la dea Roma pour apporter la dernière pierre à l’édifice de persuasion.

La prosopopée de Rome : Roma derelicta

 

La prise de parole de la dea Roma constitue la cinquième et dernière prosopopée de la Ville présente dans l’oeuvre de Claudien. Dans le panégyrique d’Olybrius et Probinus, la déesse en armes apparaissait à Théodose pour attirer son attention vers les deux jeunes fils de Probus ; en Gild. 28-127, vieillie et épuisée, elle implorait de Jupiter le secours pour mettre fin aux tourments que lui impose Gildon ; en Eutr. 1, 371 et suivants, elle se précipitait vers Honorius et Stilicon pour dénoncer, entre autres trahisons de l’Orient, la nomination au consulat d’Eutrope. Bien plus proche est le contexte de Stil. 2 où la Ville adresse déjà des reproches, cette fois à Stilicon qui diffère d’exercer le consulat. La comparaison de ces deux textes permet de voir une réelle cohérence dans l’image que donne Claudien (Stil. 2, 278-283) ; la déesse alors se rendait à Milan pour aller chercher le général et lui offrir le consulat, au moment où Eutrope le souillait en Orient (399), et  : Tum prior attonitum gratis adfata querellis: / « Seruatas, Stilicho, per te, uenerande, curules, / Ornatas necdum fateor. quid profuit anni / Seruilem pepulisse notam? defendis honorem / Quem fugis, et spernis tota quem mole tueris? / Respuis oblatum, pro quo labente resistis[24]? ». Ce texte et notre passage se complètent et se répondent (on notera querellis repris ici vers 360 et par queror au vers 362). Dans les deux cas, il s’agit d’offrir le consulat et de se plaindre du mépris apparent que la cour a de l’ancienne capitale, mais dans le détail, ce sont les différences qui sautent ici aux yeux. Rome est la parens d’Honorius (vers 362) alors qu’elle ne revendiquait aucun lien particulier avec Stilicon ; elle réclamait pour Stilicon les honneurs du consulat (curules), afin de laver celui-ci des souillures qu’Eutrope lui avait fait subir, alors qu’ici elle invite, nous le verrons, le prince à célébrer un triomphe, sans mettre immédiatement en avant la dignité consulaire. Or cette absence de la mention du consulat dans la bouche de Rome, dans un panégyrique qui inaugure précisément un consulat, doit interpeller l’auditeur. En fait, le consulat n’est qu’une part d’un processus plus vaste de réconciliation du prince et de la capitale : celui-ci a dédaigné (spreuisse vers 366), non pas simplement les honneurs du consulat, mais sa parens dont il s’est moqué, lusit (vers 367[25]) et aux supplications de laquelle il s’est montré inflexible (vers 368 duras aures). On est loin des gratis querellis et la formule liminaire « je me plains de toi » ne laisse aucun doute sur la volonté du poète de mettre en scène un discours ouvertement critique… mais dont la charge subversive est évidemment annulée par le fait que, quand Rome tient ce discours, Honorius a cédé et il est présent et honore sa parens.

Ce procédé est en soi intéressant : la liberté de ton que prend ici la dea Roma envers le prince reste, en apparence, totalement révérencieuse puisque le prince a montré (et il le montrera, dans la fiction du panégyrique, dès sa réponse) combien il aime sa parens et a cédé à ses instances, mais en même temps l’auditoire entend la virulence de la critique comme une forme d’avertissement au prince : « tu as changé, heureusement, mais voici la ligne à suivre désormais, sous peine de réactiver les querellae, à juste titre d’ailleurs ». On comprend alors pourquoi, dans la fiction du poème, Rome prend en charge les revendications des proceres, qui ici figurent très probablement le Sénat. Une partie sans doute non négligeable du Sénat, devant la gravité de la situation depuis le début de la révolte de Gildon, attend beaucoup plus de l’empereur qu’un gouvernement lointain et une poursuite de la politique de ses prédécesseurs. La gravité des derniers événements a probablement interrogé le modèle impérial développé depuis Constantin et ses successeurs, et sa capacité à réellement protéger l’empire, tant sur le plan militaire que sur les plans politique et religieux.  Cette situation est à la fois proche et différente de celle qui marquait l’année 400 ; certes Gildon avait ébranlé Rome avec sa sécession, mais il ne l’avait pas concrètement menacée. Stilicon avait donc protégé Rome, mais contre une menace qui était demeuré lointaine même si la famine à Rome lui avait donné une réelle proximité. Or, malgré la vaillance des armes romaines, cela n’avait pas suffi, et dès 400, puis 401 les troubles avaient repris, avec des incursions dans l’empire, puis l’équipée d’Alaric, jusqu’au coup d’arrêt de Pollentia (confirmé selon Claudien à Vérone), mais pour combien de temps… Même si Claudien soutient qu’Alaric est incapable de se relever du coup que lui a porté Stilicon, les paroles de Rome, situées dans le contexte si particulier de ce panégyrique, ont une portée qui dépasse leur sens obvie : ce que demande instamment le Sénat et Rome, c’est un changement de cap net et franc et un retour à un gouvernement more maiorum car le modèle développé par les princes précédents montre maintenant clairement ses limites.

On peut être étonné de cette proposition de lecture alors précisément que, dans la suite de son discours dans notre passage, Rome ne parle que de triomphes et d’appareil triomphal, comme nous allons le voir. Mais précisément il s’agit d’un triomphe virtuel que Rome avait préparé ast ego frenabam (vers 379), mais que le prince a dédaigné.

Or cet appareil triomphal se caractérise par le fait qu’il est totalement pensé more maiorum. Ce n’est pas l’adventus d’un prince tardif sur le modèle de celui de Constance II en 357 dont se moque Ammien Marcellin, c’est la réactivation du triomphe sous sa forme la plus traditionnelle. Ainsi, il n’est guère prudent[26] de ne voir dans les deux chevaux blancs, geminos...electi candoris equos (vers 369-370), qui vont être attelés au currus du triomphateur (tuos currus vers 377) qu’une simple transposition en vocabulaire classique du lourd carpentum à quatre chevaux qui sert de véhicule princier ; il faut plutôt admettre une volonté d’affirmer que le triomphe d’Honorius se doit de respecter les formes anciennes, même si pour l’occasion il semble n’y avoir que deux chevaux au lieu des quatre requis, ce qui n’est peut-être pas innocent[27]. La suite de la description confirme l’accumulation de détails visant à souligner le traditionalisme absolu de la représentation imaginée par Rome. Un arc aurait été construit pour l’occasion (vers 370-371[28]), sous lequel Honorius serait passé en toga picta (vers 371-372), cette fois employée more maiorum pour le triomphateur et non pour d’autres occasions, comme c’est le cas dans la Rome du temps, on aurait gravé des inscriptions censées illustrer les principaux faits d’armes (vers 372-373), ce qui a d’ailleurs effectivement été fait[29].

Arrive alors le point crucial avec la procession et ses images, pompae simulacra futurae (vers 374), destinées à être vues par Jupiter Tarpéien (vers 375), ce qui suppose une montée de la procession au Capitole. Or depuis Constantin cet aspect de la cérémonie est devenu problématique et la manière dont l’historien (païen) Zosime rapporte l’affaire, un siècle après Claudien, en montre bien tous les enjeux :  Τῆς δὲ πατρίου καταλαβούσης ἑορτῆς, καθ’ ἣν ἀνάγκη τὸ στρατόπεδον ἦν εἰς τὸ Καπιτώλιον ἀνιέναι καὶ τὰ νενομισμένα πληροῦν, δεδιὼς τοὺς στρατιώτας ὁ Κωνσταντῖνος ἐκοινώνησε τῆς ἑορτῆς· ἐπιπέμψαντος δὲ αὐτῷ φάσμα τοῦ Αἰγυπτίου τὴν εἰς τὸ Καπιτώλιον ἄνοδον ὀνειδίζον ἀνέδην, τῆς ἱερᾶς ἁγιστείας ἀποστατήσας, εἰς μῖσος τὴν γερουσίαν καὶ τὸν δῆμον ἀνέστησεν[30]. L’acte de monter au Capitole a pris du temps de Claudien la valeur d’un acte clair de restauration de la religion traditionnelle. Ainsi Jérôme[31] stigmatise un consul désigné qui est un païen en rappelant cette pratique que les princes chrétiens se sont bien gardés, à la suite de Constantin, de pratiquer. D’ailleurs Claudien ne dit pas explicitement que le prince lui-même va accomplir le rite et « monter au Capitole » (ce qui serait s’avouer ouvertement favorable à la religion traditionnelle[32]), mais seulement que le dieu verra les simulacra de la procession, mais l’allusion est trop énorme pour passer inaperçue. C’est bien un triomphe dans le cadre strict de la religion traditionnelle que Rome avait prévu, et non un adventus aux colorations vaguement conservatrices comme celui de Constance II avait pu le laisser croire[33]. L’ecphrasis du tableau maritime et des autres tableaux ou images prévus pour le cortège triomphal[34] confirme cette idée d’une recherche du plus grand respect possible de la tradition et de l’inscription du triomphe d’Honorius dans une continuité historique restaurée.

Le fait que le flot sur lequel navigue la flotte du corps expéditionnaire romain soit d’or (vers 376 auratum fluctum) rappelle la représentation de la bataille d’Actium sur le bouclier d’Enée (Verg., Aen. 8, 676-677 : uideres / Feruere Leucaten auroque effulgere fluctus[35]) ; ce souvenir identifie discrètement Honorius à Auguste le restaurateur de l’État après la victoire sur une flotte africaine, celle de la reine d’Égypte. De même, l’évocation de l’exhibition de Gildon enchaîné entraîne une synkrisis d’autant plus intéressante que le comte rebelle n’avait pas eu l’occasion d’être exhibé à Rome, puisqu’il avait été mis à mort en Afrique peu après sa défaite le 31 juillet 398. Dans la fiction du panégyrique, on peut imaginer que Rome fait ces préparatifs avant de connaître le sort de Gildon, mais il est bien plus intéressant de voir dans cette fiction le prétexte d’une synkrisis. Cela permet en effet au poète de mettre en scène Jugurtha, ramené à Rome en -104, avant de mourir en prison (subiturus carcere poenam vers 381). Or cette synkrisis tourne évidemment à l’avantage d’Honorius par la mention qui clôt le passage : Jugurtha avait dû sa chute à la trahison des siens, son beau-père Bocchus, Bocchi doles vers 383, mais également à la ruse de Sulla qui avait manigancé le guet-apens où Bocchus pourrait livrer le roi. Ici, un autre beau-père, cette fois totalement loyal, livre à Honorius un rebelle qu’il a maté par ses seules armes et non dolis (vers 383), du moins si l’on en croit le poète[36]. Il est donc évident que Claudien vise dans ce triomphe à renouer avec la tradition des triomphes républicains (Jugurtha) tout en soulignant discrètement que ce triomphe pourrait être le signe d’un nouvel Actium, autrement dit du début d’un nouveau régime ou du moins d’une nouvelle manière d’exercer le pouvoir, Honorius étant le nouvel Auguste d’un empire renouvelé. Que cela soit sans doute une lecture pertinente, la célèbre formule qui conclut le poème l’atteste ; ce que Claudien appelle de ses vœux c’est que Rome et Bruti cernit trabeas et sceptra Quirini (vers 642) « voi<e> à la fois la trabée de Brutus et le sceptre de Quirinus ».


[1]Cette relation est déjà celle qui unit les Romains à Stilicon dans leur désir de voir le général venir à Rome (Stilic. 3, 51-55) : O felix seruata uocat quem Roma parentem! / O mundi communis amor, cui militat omnis / Gallia, quem regum thalamis Hispania nectit, / Cuius et aduentum crebris petiere Quirites / Vocibus et genero meruit praestante senatus! (« ô heureux héros que Rome qu’il a protégée appelle son père ; ô amour du monde entier au service de qui se met toute la Gaule, que l’Hispanie lie à la chambre nuptiale des empereurs, dont la venue fut réclamée par les cris nombreux des Quirites, ce qu’obtint le Sénat quand ton gendre l’accorda »). Ainsi, tout le texte peut se voir comme un déplacement vers la figure impériale des honneurs décernés à Stilicon.

[2]Ici encore, on peut comparer avec le sentiment qui anime Rome pour Stilicon en Stilic. 2, 264-268 (c’est Oenotrie qui parle) : "si uos adeo Stilichone curules / Augeri flagratis" ait "quas sola iuuare / Fama potest, quanto me dignius incitat ardor, / Vt praesente fruar conscendentemque tribunal / Prosequar atque anni pandentem claustra salutem?" (« si vous brûlez à ce point de voir le prestige des sièges curules accru par Stilicon, eux à qui seule la Renommée peut plaire, combien plus dignement l’ardeur me pousse à jouir de sa présence, à le suivre quand il montera au tribunal et à le saluer quand il ouvrira les portes de la nouvelle année »).

[3]Vt te nec mea uox nec te meus incitet ardor, / Cogimur ipsius commoditate frui, / Aut erimus stulti, sic ut superemus et ipsum, / Si tam securum tempus abibit iners.

[4]Voir aussi dans le même sens par exemple Ovid., epist. 21, 44 ; am. 2, 16.

[5]« Après l’avoir longtemps caché, moi, ta parente, Auguste, je me plains que tu repousses pour ma tristesse mon amour. Jusqu’à quand le Ligure que tu préfères à moi te retiendra-t-il ? En interdisant de jouir de ta lumière si proche et en mettant entre nous et notre plaisir un si petit espace, le Rubicon va-t-il encore, alors que son dieu est proche, tourmenter le Tibre ? N’est-ce pas assez de m’avoir dédaignée une fois ? ».

[6]Le thème des durae aures n’est pas exempt d’une connotation érotique faisant de Rome une amans derelicta. Voir par exemple les durae aures que Didon reproche à Enée (Verg., Aen. 4, 428).

[7]On observera que la même construction conduit à l’introduction des figures impériales nec tali...cum (333-335) / nec tantis...cum (339-340), ce qui souligne le parallélisme pour mieux accentuer les différences. Le passage du singulier au pluriel et le resserrement de l’expression contribuent à marquer la gradation axiologique posée entre les deux exempla.

[8]Nec tantis patriae studiis ad templa uocatus, / Clemens Marce, redis : « et ce n’est pas après avoir été appelé vers les temples par un aussi grand zèle de la patrie, que tu reviens, clément Marc ».

[9]Claudien fait très certainement allusion à l’issue des campagnes menées par le prince en 101-102 et 105-106 qui aboutirent à créer une nouvelle province (vers 337-338 : mirataque leges / Romanum stupuit Maeotia terra tribunal : « étonnée de nos lois, la Méotide fut saisie de stupeur à la vue d’un tribunal romain »). Le mot tribunal renvoie clairement à l’administration civile de la nouvelle province, là où fasces (337) marque la conquête militaire. Placer en Dacie l’Hypanis (actuel Kouban) et le Palus Méotide (Mer d’Azov) relève d’une approximation géographique indiquant, en gros, où il faut placer cette région (est et nord). Il peut passer dans l’évocation de Claudien un souvenir de l’éloge de Domitien, dont on verra comment le poète réinvestit ensuite l’image négative, en ouverture de la Thébaïde de Stace où l’auteur flavien écrivait (Stat., Theb. 1, 18-20) : quando Itala nondum / Signa nec Arctoos ausim spirare triumphos / Bisque iugo Rhenum, bis adactum legibus Histrum / Et coniurato deiectos uertice Dacos (« puisque je n’oserais encore faire retentir les enseignes italiennes et les triomphes sur les Ourses et le Rhin deux fois mené sous notre jouge et l’Hister deux fois mené sous nos lois, et les Daces jetés à bas des sommets où ils complotaient contre nous »). L’« historicité » de la demande de Rome peut être confirmée aux yeux des lecteurs de Claudien par Plin., paneg. 20 dont nous allons voir que le poète fait sans doute un usage bien plus profond que la simple référence littéraire, même s’il s’agit de campagnes de 98 et non de celle contre les Daces.

[10]4 Honor. 19-20 : Vlpia progenies et quae diademata mundo / Sparsit Hibera domus (« la lignée de Trajan et la maison espagnole qui a étendu son diadème sur le monde »). Trajan revient ensuite dans la discours du père du prince qui est une ars regendi ; il est cité en exemple, non tant pour sa gloire militaire que pour son caractère. On notera la conclusion de Théodose (315-320) : uictura feretur / Gloria Traiani, non tam quod Tigride uicto / Nostra triumphati fuerint prouincia Parthi, / Alta quod inuectus fractis Capitolia Dacis, / Quam patriae quod mitis erat. ne desine tales, / Nate, sequi (« elle restera vivante la gloire de Trajan, non tant parce qu’il a vaincu le Tigre et que notre province a triomphé des Parthes, non tant parce qu’on le porta jusqu’au Capitole, après qu’il eut brisé les Daces, mais parce qu’il était plein de douceur pour sa patrie. Ne cesse jamais, fils, de suivre de tels exemples »).

[11]644-646 : agnoscunt rostra curules / Auditas quondam proauis, desuetaque cingit / Regius auratis fora fascibus Vlpia lictor (« les rostres reconnaissent les sièges curules dont ils avaient jadis entendu parler par leurs ancêtres, le licteur impérial ceint de ses faisceaux dorés un forum de Trajan qui en a perdu l’habitude »).

[12]« En outre, les princes à venir, qu’ils le veuillent ou non, doivent cependant savoir et garder en mémoire, à la lumière de ces deux exemples, que les gens tireront des conjectures sur leur caractère selon qu’ils auront choisi l’une ou l’autre attitude ».

[13]Plin., paneg. 20, 4 : Quam dissimilis nuper alterius principis transitus! si tamen transitus ille, non populatio fuit, cum abactus hospitum exerceret, omniaque dextra laeuaque perusta et attrita, ut si uis aliqua, uel ipsi illi barbari, quos fugiebat, inciderent. Persuadendum prouinciis erat, illud iter Domitiani fuisse, non principis (« Comme fut différent, il y a quelques années, le voyage de l’autre prince ! Si toutefois on peut nommer cela un voyage et non un pillage, puisqu’il dépouillait ses hôtes, laissait tout à droite et à gauche incendié et ravagé, comme si c’était une force violente, voire les barbares eux-mêmes, ceux qu’il fuyait, qui s’étaient abattus. Il fallait bien faire comprendre aux provinces que celui qui voyageait c’était Domitien, non un prince »).

[14]Plin., paneg. 20, 1-3 : Iam te ciuium desideria reuocabant, amoremque castrorum superabat caritas patriae. Iter inde placidum ac modestum, ut plane a pace redeuntis. Nec uero ego in laudibus tuis ponam, quod aduentum tuum non pater quisquam, non maritus expauit. Affectata aliis castitas, tibi ingenita et innata, interque ea, quae imputare non possis. Nullus in exigendis uehiculis tumultus, nullum circa hospitia fastidium; annona, quae ceteris; ad hoc comitatus accinctus et parens: diceres magnum aliquem ducem, ac te potissimum, ad exercitus ire: adeo nihil, aut certe parum intererat inter imperatorem factum, et breui futurum (« déjà le désir de tes concitoyens te rappelait et l’affection pour ta patrie l’emportait sur l’amour des camps. Ton voyage alors fut paisible à peu près comme celui de quelqu’un qui revient en temps de paix. Je ne mettrai pas au nombre de tes éloges le fait que nul père, nul mari ne trembla devant ton adventus. D’autres affectent la chasteté, chez toi elle est naturelle et innée, c’est une qualité dont tu ne peux te faire un mérite. Nul désordre pour exiger des moyens de transport, nulle gêne causée par ton hébergement ; ta nourriture, celle de tous les autres ; ton escorte, spécialement équipée à cet effet et soumise à tes ordres : on dirait que quelque grand capitaine, toi surtout, se rend à l’armée ; ainsi il n’y avait nulle différence ou presque aucune entre un empereur régnant et un empereur sur le point de régner »).

[15]Ce qui explique que Claudien parle de paribus periclis (« dangers équivalents ») au vers 341.

[16]Marc. 24, 4 : Fulmen de caelo precibus suis contra hostium machinamentum extorsit suis pluvia impetrata, cum siti laborarent (« il obtint à force de prières la foudre qui fut envoyée du ciel contre une machine ennemie, après avoir obtenu la pluie pour ses troupes alors qu’elles souffraient de la soif »). On notera que la construction embarrassée de la phrase relie les deux événements et peut justifier le mélange opéré par Claudien.

[17]339-341 : cum gentibus undique cinctam / Exuit Hesperiam paribus Fortuna periclis. / Laus ibi nulla ducum (« quand la Fortune délivra l’Hespérie entourée de toutes parts par des barbares de dangers équivalents. Il n’y eut là nul titre de gloire pour les chefs »).

[18]« Alors, le combat s’en tint au ciel et ignora tout trait mortel ; que ce soit un mage chaldéen ou une incantation rituelle qui arma les dieux ou, comme je le crois, le caractère moral de Marc qui put lui obtenir que le Tonnant obéisse à ses voeux ».

[19]hoc quidem bellum prouidentia Dei administratum esse cum plurimis argumentis tum praecipue epistula grauissimi ac modestissimi imperatoris apertissime declaratum est. ...exercitus circumuentus... ab hostibus propter aquarum penuriam praesentius sitis quam hostis periculum sustineret: ad inuocationem nominis Christi, quam subito magna fidei constantia quidam milites effusi in preces palam fecerunt, tanta uis pluuiae effusa est, ut Romanos quidem largissime ac sine iniuria refecerit, barbaros autem crebris fulminum ictibus perterritos, praesertim cum plurimi eorum occiderentur, in fugam coegerit

[20]Rappelons que quand l’imparfait du subjonctif exprime le potentiel du passé, il est difficile de le distinguer de l’irréel du présent ; nunc quoque semble pousser vers une lecture à l’irréel, mais rien n’est sûr.

[21]« Maintenant encore, le secours de l’Olympe n’aurait su faire défaut au Latium, si notre main s’était trouvée manquer ».

[22]« Pour éviter que pour toi désormais, prince, un laurier acquis par la sueur de ton beau-père et que lui/vous a mérité sa/votre valeur, la foudre ne vienne l’entourer ».

[23]La base Musisque deoque ne donne aucune autre attestation dans ce que nous avons conservé de la poésie latine d’un regroupement de ces deux mots.

[24]Alors prenant la parole la première elle s’adresse au héros stupéfait avec d’agréables plaintes : « tu as sauvé, Stilicon les sièges curules, mais j’avoue que tu ne les as pas encore ornés. A qui sert d’avoir repoussé la marque servile qui souille cette année ? Tu défends un honneur que tu fuis, et tu dédaignes ce que tu protèges de tout ton poids ? Tu refuses alors qu’on te l’offre, un honneur pour la défense duquel tu opposes ta résistance quand il chancelle ? ».

[25]La rapprochement avec Stilic. 2, 398 proposé par Claudien 1996. montre bien la différence de ton entre les deux discours ; c’était la « poussière menteuse » qui va se jouer du peuple sur la route qui devrait conduire Stilicon à Rome (Fallax o quotiens puluis deludet amorem), maintenant c’est le prince lui-même qui l’a fait.

[26]Claudien 1996. p. 273. On est clairement dans une situation différente de 4 Honor. 566-567, où effectivement rien n’impose de voir dans le mot currus autre chose qu’une désignation poétique du carpentum. Ici les éléments extrêmement conservateurs de ce triomphe interdisent à mon sens cette lecture.

[27]Cette particularité interroge. Mais elle n’est peut-être pas si étonnante, si l’on pense aux bigati, ces monnaies émises autrefois lors des triomphes et représentant parfois Victoria sur un char tiré par deux chevaux (voir par exemple Babelon: Claudia 6, Sydenham 770/a, Crawford 383/1). Que Claudien ait vu l’une de ces antiques monnaies ou connu cette représentation et cela a pu lui donner l’idée que, more maiorum, le char du triomphateur n’avait que deux chevaux ou qu’on pouvait imaginer dans ce triomphe archaïque que le prince utilise le même char que Victoria.

[28]nominis arcum / Iam molita tui : « déjà j’avais conçu le dessein d’un arc à ton nom ». Le participe molita règle à mon sens la question de savoir si cet arc a existé ou non, car Claudien est le seul à nous en parler et ne nous dit pas qu’il a été construit. La déesse a « fait les plans » dudit arc en prévision du triomphe sur Gildon, mais rien n’indique qu’il ait jamais été construit. Rapporter cette mention de l’arc à celui (cette fois effectivement construit) portant l’inscription des empereurs Arcadius, Honorius et Théodose (II), proclamé Auguste en 402, est risqué car il faudrait pouvoir prouver que cet arc, qui commémore la victoire sur les Goths, remonte bien à l’année 403 et non à des campagnes de 405, ce qui est indémontrable. Si l’arc en question était déjà en projet, voire en construction, Claudien fait une discrète allusion courtisane au fait que Rome aura finalement réussi à dédier un arc à son héros.

[29]Voir par exemple CIL VI 1187 dont la reconstitution permet peut-être de lire : « Aux empereurs très invincibles et très heureux, nos seigneurs Arcadius et Honorius frères, les sénat et le peuple romain, heureux de la punition de la rébellion et de la restitution de l’Afrique ».

[30]Comme venait le jour d’une fête de la patrie qui obligeait l’armée à monter au Capitole pour y accomplir ce qui était prescrit, craignant les soldats, Constantin prit part à la fête ; mais l’Egyptien [qui lui a conseillé de se faire chrétien] lui ayant fait état d’un prodige, il dédaigna en s’en moquant la montée au Capitole et ne prit pas part au rituel sacré, ce qui lui attira la haine du Sénat et du peuple.

[31]ep. 23, 3.

[32]Voir par exemple les canons du concile d’Elvire (305 ou 306) qui interdisent à un chrétien de monter au Capitole, d’y sacrifier et même d’y voir sacrifier (canon 59).

[33]Ammien 16, 10, 15 souligne que Constance II, confronté à la majesté du forum de Trajan et à une Ville magnifique que domine le temple de Jupiter Capitolin « comme les choses divines dominent les terrestres », déclara qu’il voulait imiter Trajan… dans la construction d’une statue équestre de lui, à l’image de l’equus Traiani !

[34]Claudien évoque successivement un tableau représentant la flotte en route vers l’Afrique, des peintures ou des maquettes représentant les villes reconquises (vers 377), et deux tableaux mythologiques : le lac Triton et Atlas représentés dans des postures de soumission. Le lac Triton est dit les cheveux ceints du roseau de Pallas, car son surnom de Tritonia venait du fait que l’on plaçait sa naissance au bord du lac Triton, et Atlas figure la montagne emblématique de l’Afrique ; ainsi c’est la terre et l’eau de l’Afrique qui reviennent sous la domination romaine, avec leurs villes. Enfin, on avait prévu, selon le poète, de faire défiler Gildon lui-même avant de l’incarcérer comme l’avait été Jugurtha.

[35]« on pourrait voir bouillonner Leucate et le flot resplendir d’or ».

[36]Claudien idéalise clairement les faits car, en réalité, une partie des troupes de Gildon l’avait trahi en refusant de le suivre. Abandonné par les Maures et par les troupes romaines à son service, le comte s’était retrouvé dans une position militaire délicate qui avait permis à son frère Mascezel de remporter finalement une victoire plus facile que prévu.