Le commencement du panégyrique avait insisté sur le moment heureux vecu par Rome grâce à la présence de l'empereur. En particulier, les vers 16-17 avaient prédit la felicitas d'une année marquée par la présence du prince à Rome (Hic [scil. annus] tamen ante omnes miro promittitur ortu, / urbis et Augusti geminato nomine felix), parce que le plus heureux destin est assuré lorsque l’empereur est à Rome, le siège qui lui appartient (v. 18-25). De même que l’oracle de Delphes est animé par la présence d'Apollon, le mont Palatin l'est aussi lorsque l'empereur est présent (v. 25-38). D’ailleurs, le Palatin est le siège par excellence des souverains (39-41 Non alium certe decuit rectoribus orbis / esse larem, nulloque magis se colle potestas / aestimat et summi sentit fastigia iuris ma anche v. 603 patriis laribus). Au v. 53 le point de vue change, et Claudien passe du rapport institutionnel de Rome avec ses principes à celui affectif d'Honorius envers Rome. Dans Agnoscisne tuos … penates ?, par lequel commence cette section du poème, penates reprend larem du v. 40, mais agnoscis marque un niveau plus personnel, parce qu'Honorius ne connaît pas maintenant pour la première fois quelle est sa vraie maison, mais il la re-connaît, parce qu'il y a déjà été.La relation d'Honorius avec Rome est ainsi introduite par un flash-back sur sa première visite, qu'il avait faite enfant aux côtés de son père qui fêtait le triomphe sur Maxime (13 juin-30 août 389). Le poète souligne l'amour profond et l'admiration de l'enfant Honorius pour la ville (v. 54 primis olim miratus in annis), qu'il voit sous la direction affectueuse de son père (v. 55 patre pio monstrante). Le motif traditionnel du lien entre Rome et son prince est ainsi relancé au profit d'Honorius et remonte à sa petite enfance.Le premier séjour d'Honorius (qui n'avait pas encore 5 ans) à Rome, qui coïncida très probablement avec sa nomination comme César, est présenté par Claudien comme une véritable initiation à l'exercice de l'empire, dont Théodose avait voulu que son nouvel héritier s'habitue dès ce moment-là (v. 76 ut novus imperio iam tunc adsuesceret heres). Les vers 55-76 rappellent donc ce séjour de Théodose à Rome en fonction d'Honorius, qui partage son expérience. Claudien définit en effet les jours passés à Rome par Théodose (défini diuus en référence à son catastérisme et optimus comme l’avait été Trajan)[1] comme le moment de la plus grande felicitas dont il a joui de toute sa vie (v. 55-56 nil optimus ille / diuorum toto meruit felicius aeuo) pour avoir partagé ces jours avec son fils (v. 58 te consorte). L'ample place (v. 55-76) accordée à la description des gestes et de l'attitude de Théodose, qui ont un caractère exemplaire, suggère qu'Honorius, qui en fut témoin, apprit de son père comment un empereur doit se conduire.Les premières qualités du prince mises en évidence ce sont l'affabilité et le manque d'arrogance : adhérant aux meilleurs exemples, Théodose se comporte en simple citoyen (v. 58-59 cum se melioribus addens / exemplis ciuem gereret), renonçant aux gardes du corps (v. 59 terrore remoto). Se conduire en simple citoyen est un mérite que Claudien avait déjà attribué à Stilicon dans son panégyrique, qui le caractérise par des vertus et des actions dignes d'un empereur (Stil. II, 167-168 cum tanta potestas / ciuem lenis agat, en l'occurrence dans Milan, tandis que dans Stil. III, 220-222 Stilicon se déplace à Rome sans escorte armée). C'est aussi le précepte que Théodose donne à Honorius dans son discours de regno dans Hon. cons. IV, 294-295 Tu ciuem patremque geras, tu consule cunctis, / non tibi, nec tua te moueant, sed publica uota.De plus, Théodose avait su se mettre au niveau de tout le monde : il avait fait des jeux avec la plèbe, et avait daigné visiter sans arrogance (v. 62 deposito fastu) les maisons des particuliers comme des sénateurs. Et dans le panégyrique de Stilicon c’est Honorius lui-même qui avait appris de son beau-père qu'un bon prince n'est pas fier et ne dédaigne pas d'être jugé par ses sujets : Stil. III, 118-119 posito iam purpura fastu / de se iudicium non indignatur haberi. Charlet 2017, p. 369, n. 30 soutient qu'en présentant ainsi l'adventus de Théodose et en insistant sur son association étroite avec Honorius, Claudien, qui « rêve d'un empereur-citoyen établi à Rome sur le Palatin (Charlet 2003) » voudrait convaincre Honorius de suivre l'exemple paternel. À mon avis les choses sont un peu différentes. En premier lieu, bien qu'empereur-citoyen, Théodose ne s'était pas établi à Rome, donc l'imiter n'impliquait pas pour Honorius de se transférer son siège à Rome sur le mont Palatin. Deuxièmement, l'attention portée au comportement de Théodose trouve sa justification précise dans le panégyrique lui-même, qui est récité devant les sénateurs, dont une partie devait rappeler la précédente visite de Théodose, et pouvait donc comparer l’attitude d'Honorius à celle de son père.L'évocation du comportement de Théodose que Claudien fait devant le sénat, très probablement s’inspirant du panégyrique de Pacatus (paneg. 2, 47, 3), sert donc à montrer qu'Honorius, qui − comme son père (uictor Theodosius est défini dans v. 57) − vient à Rome et y célèbre un triomphe (celui contre les barbares d'Alaric), lors de sa visite met déjà en pratique l'enseignement paternel. En effet, la dernière partie du panégyrique montre Honorius se comportant en ciuis et non en tyran (v. 557-559), et le dépeint respectant le peuple rassemblé sur les marches du cirque (v. 613-614 regia circi / conexum gradi bus ueneratur purpura vulgus). L'observation avec laquelle Claudien commente l'absence d'orgueil chez Théodose peut donc aussi être appliquée à son fils : « le peuple s'enflamme d'amour lorsque la modestie [mais le mot latin modestia, comme le note à juste titre Dewar,[2] plutôt que la modestie, indique la modération] rabaisse jusqu’à lui l’élévation du roi et en fait son égal ».[3] Les vers 65-76 soulignent à plusieurs reprises comment, lors de sa visite à Rome, Théodose voulut que le petit Honorius, encore ignorant de la vie (v. 65 rudem vitae), participe aux soins du royaume (v. 65-66 te … socium sumebat honorum ; v. 68-70 te ... cum patre sedentem ; v. 72-73 tecum .... tecum) et l'avait déjà éduqué aux triomphes dans son enfance (v. 67-68 parvumque triumphis imbuit). La représentation de Théodose qui, en compagnie d'Honorius, dicte la loi aux peuples assujettis (v. 69-72) est de manière et ne reflète probablement pas un événement réel, mais ella a son précédent dans la description d'Honorius qui fait la même chose dans l' in Eutropium en compagnie de son beau-père.[4] Au v. 74 l'expression delubra senatus, outre la somptuosité et la sacralité de l'édifice, rappelle la préface du panégyrique lui-même, qui assimile le sénat à l'Olympe et les sénateurs aux dieux. Claudien décrit la présentation d'Honorius au sénat (v. 75-76), voulue par Théodose, comme une forme d'apprentissage de son héritier (novus heres pourrait en effet faire référence à la récente nomination d'Honorius à César, que le sénat était appelé à ratifier), qui est ainsi initié à ses devoirs de prince.Claudien fait également remonter l'attachement profond et tenace (v. 77 tenacius haesit) de l'empereur à Rome (vv. 77-81) au premier séjour d'Honorius enfant dans la ville éternelle, et il est significatif que pour exprimer cet amour le poète recourt à un langage (v. 78 penitus totis inolevit Roma medullis) qui, comme l'observe Dewar,[5] renvoie normalement à la sphère sexuelle. C'est un thème qui se développera plus loin dans le poème, où Rome personnifiée rend cet amour réciproque en se définissant parens (v. 362) d'Honorius, qui à son tour l'appelle mater (v. 426), et insiste pour qu'il daigne venir (v. 360-425), et se fait belle pour mieux l'accueillir (v. 523-536).
Honorius était né à Constantinople, où il avait passé les dix premières années de sa vie. Claudien profite de ce désavantage apparent pour mettre encore plus en évidence la prédilection d'Honorius pour Rome, à laquelle il reste attaché même après son retour dans sa ville natale (v. 81). Sa domination actuelle sur la pars Occidentis de l'empire est ainsi présentée comme l'accomplissement d'un désir exprimé à plusieurs reprises par Honorius enfant, qui répétait à son père de préférer « sa » Rome (v. 87 contingat mea Roma mihi) à l’Orient. Ce choix, que Claudien lui attribue, devait viser à flatter le Sénat de Rome.
Même le combat contre Eugène et sa défaite sont lus en fonction du choix de l'Occident attribué par Claudien à Honorius, un choix secondé par Fortuna (v. 88 Fortuna novum molita tyrannum), qui pour satisfaire son désir s'efforçait (molita) de susciter ce nouvel usurpateur. Ce n'est pas la première fois que Claudien lie la bataille du Frigidus, remportée par Théodose, au futur règne d'Honorius : il l'avait déjà fait dans le panégyrique de son troisième consulat (Hon. cons. III, 96-98):
O nimium dilecte deo, cui fundit ab antris
Aeolus armatas hiemes, cui militat aether
Et coniurati ueniunt ad classica uenti.
Dans ces vers célèbres, Claudien avait attribué l'intervention en faveur d'Honorius aux forces de la nature, exprimant ainsi à la cour chrétienne de Milan une interprétation de la victoire de Théodose loine du providentialisme chrétien. Ici, l'action en faveur d'Honorius est plutôt attribuée à Fortuna, qui apparaît plusieurs fois dans ce panégyrique.[6] Cette donnée concorde avec la présence plus forte de références païennes retrouvées dans ce poème,[7] et il est bien possible qu'à Rome Claudien se soit senti plus libre de donner voix à ses inclinations religieuses, même s’il est difficile, voir impossible, d’établir à quel point un intellectuel païen de son temps pouvait partager la foi dans les divinités traditionnelles.Cependant, le fait que les références païennes de ce panégyrique s'inscrivent dans la tradition de la Rome impériale ne doit pas être sous-estimé : pensons par exemple à la prise des auspices depuis le Palatin (v. 11-12). Pour Fortuna, on peut alors se souvenir du culte de Fortuna redux, introduit en 19 av. C. en conjonction avec le retour d'Auguste d'Orient et rappelé au v. 1 de notre panégyrique.[8] Les références aux coutumes et/ou cérémonies païennes pouvaient être appréciées par les membres du sénat qui ne s'étaient pas encore convertis au christianisme ou ne pratiquaient qu'un christianisme de pure forme. Enfin, il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un texte poétique, dans lequel la référence à la Fortune a aussi une valeur littéraire incontestable. D'autre part, les chrétiens pouvaient compter en tout cas sur la foi de la famille régnante et sur la politique pro-chrétienne de l'empereur.Les vers suivants rappellent rapidement le voyage d'Honorius, qui, accompagné de Serena, était parti en Occident en 394. Théodose avait voulu qu’on amène son fils à Milan, la capitale où il se trouvait lui-même. Cependant Claudien appelle le siège auquel Honorius est destiné Latium (v. 88-89 Fortuna … tibi quaerebat Latium; 94-95 Latioquefuturum / rectorem). Même si ce terme peut par extension désigner toute l'Italie, il renvoie d'abord à la situation géographique de Rome, et cette manière de signaler sa centralité au sein de l'empire aurait pu être appréciée par le sénat, qui a assisté à la récitation du panégyrique.Les vers 95-100 mettent en évidence le rôle de Serena, dont de ce temps là Claudien écrivait probablement le panégyrique, resté inachevé. Ses soins pour Honorius, alors âgé de 10 ans, sont vus sous un double angle. D'une part, ils sont mis en relation avec Théodose, dont elle garde le fils, le ramenant au sceptre de son oncle, qui s'achemine désormais vers le monde d'en haut ; de l'autre Serena montre une affection maternelle à celui qui sera son gendre et assure que Stilicon pourra s'occuper de lui.Ici la représentation, qui sera développée plus loin, de Stilicon comme éducateur d'Honorius (cf. v. 578-586) est anticipée. En outre, au v. 100 le motif, fréquent chez Claudien, apparaît de Stilicon, ici nommé pour la première fois, comme gardien du mineur Honorius: ce rôle qui lui est propre, ainsi que celui de sa femme, est marqué par Claudien comme une manifestation de pietas (v. 99 certauit pietatedomus). Les vers 101-103 renvoient à l'assomption parmi les étoiles de Théodose, proclamé diuus après sa mort. Ce thème, déjà présent dans deux autres panégyriques de Claudien, Hon. cons. III 162-174 et Hon. cons. IV 428-429, avait été anticipée au v. 95-96 (supernas / iam repetente plagas, mais voir aussi v. 54-55 optimus … diuorum), et les termes adoptés ici, Olympus (v. 101) et aether (v. 102), étaient également appliqués par les chrétiens à la demeure céleste.On a noté à juste titre la provenance ovidienne de l'image de l'empereur défunt qui, d'en haut, regarde les beaux exploits de son fils et se plaît à être dépassé par lui (Met. XV, 848-851).[9] Le même motif apparaît également dans le panégyrique de Constantin, où il est dit qu'il a surpassé les actes de son père et que Constance aime voir ses succès du ciel et adhuc crescit in filio.[10] Claudien parle du fils qui augmente la gloire de son père par ses actes (v. 103 se factis crevisse tuis), mais il ne va pas jusqu'à dire qu'Honorius l'a surpassé par ses actions. Ce silence a été interprété comme soulignant la pietas d'Honorius, dont les exploits sont encadrés du point de vue de la gloire qu'ils apportent à son parent.[11] Mais ce pourrait aussi être un geste de prudence de la part de Claudien, qui évite de comparer Théodose, un général qui a gagné ses guerres, avec son fils, vainqueur seulement grâce à Stilicon.Aux vers 193-110 les victoires sur Gildon et Alaric sont présentées comme le juste châtiment de leur désobéissance à Théodose, qui est ainsi vengé par Honorius (v. 111-112). Dans les deux cas, le caractère de la désobéissance n’est pas clair, tandis qu’il est certain que c'est Stilicon,[12] qui a agi au nom d'Honorius. Le generalissime, déjà exalté à cet égard par Claudien, est aussi le protagoniste de la partie centrale de notre poème, qui se concentre sur le rôle qu’il a joué dans les victoires de Pollenzo, Asti et Vérone et sur la terreur et la fuite d'Alaric (v. 201-330). Cependant, à Roma ce sont les empereurs qui célébraient les triomphes : il n'est donc pas étonnant que Claudien attribue d'abord les succès à Honorius et ne rappelle que plus tard l'action du généralissime pour ensuite le faire louer par l'empereur lui-même (v. 427- 493) dans sa réponse à Rome. L'image d'Honorius en vengeur de son père sera ensuite développée aux vers 113-121, qui établissent une comparaison, naturellement favorable aux louanges, avec Oreste, vengeur d'Agamemnon, et Auguste, vengeur de César.
[1] Dewar 1996, p. 102, à v. 55-56; Charlet 2017, p. 369, n. 29.
[2] Dewar 1996, p. 107 à v. 64.
[3] V. 63-64 Publicus hinc ardescit amor, cum moribus aequis / nclinat populo regale modestia culmen.
[4] Eutr. I, 377-383 tum forte decorus / cum Stilichone gener pacem implorantibus ultro Germanis responsa dabat, legesque Caucis / Arduus et flauis signabat iura Suebis. / His tribuit reges, his obside foedera sancit / Indicto; bellorum alios transcribit in usus, / Militet ut nostris detonsa Sygambria signis.
[5] Dewar 1996, p. 115 à v. 78.
[6] Le terme y récourt 6 fois (sur un total de 43attestations) aux vers 1; 88; 268; 341; 500, 578.
[7] Gualandri 2015.
[8] Voir Charlet 2017, p. 363-364, n. 1.
[9] Dewar 1996, p. 130 à v. 103; Charlet 2017, p. 372, n. 44
[10] Paneg. 12, 24, 4-25, 1. Cf. Dewar 1996 et Charlet 2017, ibidem.
[11] Dewar 1996, p. 130 a v. 103.
[12] En réalité c’était son frère Mascezel qui avait battu Gildon.