Voici le dernier discours conséquent du panégyrique, il s'agit de la réponse d'Honorius à Rome qui se plaignait de ne plus le voir et surtout qui se plaignait de ce que les derniers triomphes étaient des triomphes sur les usurpateurs (v.394 : eadem sed causa trophaei /ciuilis dissensu erat), très probablement ceux de Constantin sur Maxence, de Constance II sur Magnence et de Théodose sur Maxime. Ces triomphes sur les usurpateurs sont, en fait, des triomphes "internes", c'est-à-dire sur les Romains eux-mêmes, ce qui constitue un détournement de la cérémonie triomphale. Les usurpateurs se rendaient coupables de maiestas contre l'État, un crime traditionnellement puni par la décapitation ; à cette peine s'ajoutait le châtiment populaire d'éparpillement ou de désagrégation du corps, visant à la damnatio memoriae.
Ici la situation politique est différente, il y a concomitance entre la victoire de Stilicon sur Alaric et la visite d’Honorius à Rome. Cette victoire, plus nette que la précédente, et qui lave le régent de tout soupçon de collusion avec l’ennemi, permet au poète de donner à ce dernier panégyrique centré sur Rome et la Romanité, une tonalité particulière. Cette romanité prend notamment corps dans les réminiscences littéraires.
Ce retour à Rome, que Claudien a présenté en ouverture, comme la réalisation des souhaits les plus ardents d’Honorius contraint jusqu’alors de vivre en Orient (VI, 77-87) alors que rien ne dit que c’était le cas, est un élément essentiel du processus de légitimation du pouvoir. Même si Rome n’est plus la capitale politique de l’Empire, sur le plan mythique et historique, pour notre poète, elle est le centre de l’empire et du monde pacifié, elle est le seul endroit possible où exercer un pouvoir légitime. Le retour du prince à Rome s’apparente à un récit de voyage ou iter, genre bien attesté, tel que l’ont produit, en vers, Ovide, Rutilius Namatianus ou Venance Fortunat, mais Claudien choisit une approche énonciative différente : au « je /nous » traditionnel du voyageur, le poète substitue une narration à la troisième personne centrée autour du Prince, narration qui se transformera, à partir du vers 506, en une adresse à Honorius.
Dans ce passage, Honorius s'adresse à Rome pour lui rappeler les hauts faits de Stilicon, qui, après avoir réduit la rébellion de Gildon à néant, a vaincu Alaric. Cette victoire donne lieu, dans le discours, à un mini-récit épique, très condensé, célébrant la geste du général, une geste supérieure à l'héroïsme de Coclès qui repousse les Étrusques. Sed cum tranaret, Etruscis / ille dabat tergum, Geticis hic pectora bellis nous dit Claudien (489-490) dans une formule presque chiasmatique, qui, certes, place à égalité les deux hommes, mais fait de Stilicon, celui qui offre sa poitrine aux traits. Dans l'imaginaire républicain, au prix de certaines recompositions historiques, Coclès est l'antique héros infirme de la résistance face à Porsenna. Mais il ne parvint pas à éviter la défaite militaire, contrairement à Stilicon.
Le panégyrique se concentre alors sur le départ du cortège impérial de Ravenne jusqu’au moment de l'adventus, étroitement associé au processus consularis, ce qui lui confère un caractère particulier. L’entrée dans la ville éternelle est à deux reprises retardée, par la description du voyage lui-même et par la comparaison de la ville à une parure de jeune mariée attendant son prétendant.
Honorius quitte donc Ravenne et suit un itinéraire classique : la voie Popilla, puis Flaminia, Il se dirige vers l’intérieur jusqu'au temple de la Fortune à Fano, puis emprunte la route taillée dans la montagne qui débouche sur la vallée du Métaure (ce territoire connaîtra de nombreuses vicissitudes notamment au moment de de la guerre "gréco-gothique" des années 535 et sera un point charnière entre le monde romain tardif et le haut moyen-âge). L’empereur et sa suite se détournent alors pour aller voir les célèbres sources du Clitumne qui constituent un des mirabilia du monde antique et parviennent en traversant la cité de Narnie au Tibre qu'Honorius salue comme puissance divine fondatrice. En s'aspergeant de l'eau du Tibre, Honorius et ses soldats rejouent le rituel très païen de la lustratio, que vient confirmer le choix de la graphie Thybris par Claudien, marqueur évident du paganisme, selon Jean-Louis Charlet.
Du point de vue narratif, le moment est à la fois charnière et moment de répit. Moment de répit avant le morceau de bravoure littéraire que constitue l'entrée dans Rome et moment charnière parce que le récit qui se tisse d'éléments annoncés depuis l'ouverture du poème, permet à Claudien de construire une description très riche de représentations symboliques qui disent ce que la cérémonie de l'aduentus présentée pourtant de manière très traditionnelle ne dit pas et dans lesquelles réside l'audace du poète dont la parole politique est, dans ce panégyrique, la plus libérée ou la plus libre.
Le trajet et ses étapes structurent le récit sur le mode du récit de voyage, auquel Rutilius donnera ses lettres de noblesse. Cet espace du trajet se lit en miroir du passage qui le précède immédiatement dans le panégyrique (443-490) dans lequel Claudien rappelle l’expédition de Stilicon et sa victoire. La transition d’un univers à l’autre (de la Thrace à l'Italie) s’effectue par le syntagme, signa mouet de tonalité épique qui s’emploie en contexte guerrier ou triomphal.
Au monde barbare régi par les forces du chaos, s’oppose le monde civilisé, le monde romain de l’Italie. Le fleuve Adda que franchit Stilicon sans en craindre la largeur ni le débit marque une frontière de civilisation : Stilicon repousse les ennemis, qui souillaient l’Italie par-delà ces limites tandis qu’Honorius opère un mouvement inverse en revenant à Rome, centre mythique de l'Empire et du monde conquis mais surtout pacifié.
Dès lors, ce trajet de retour qui s'effectue avec la même solennité que l'entrée triomphale dans la ville éternelle, à proprement dite, se concentre sur les lieux qui portent l'essence même de la romanité. Chacun d'entre eux a trait à l'histoire de Rome et à son action civilisatrice, chacun appartient à un univers que Claudien présente comme sacré. Chacun donne lieu à une miniature descriptive qui prépare la description de l'aduentus proprement dit qui rassemble, en un tout, ces différents éléments descriptifs.
Claudien souligne le caractère exceptionnel de l'environnement qui ne ressemble en rien à celui de Milan ou de Ravenne. Ces villes sont des villes importantes et des capitales palatines (encore qu'après l'installation du Prince à Ravenne, le rayonnement de Milan faiblit) mais qui ne sont pas chargées de cette histoire millénaire. Chacun de ces lieux a contribué à construire la grandeur de Rome, par les conquêtes et les victoires sur l 'ennemi. Ainsi la vallée du Métaure chargée de la référence historique à la victoire sur Hasdrubal et sur les Alamans, se signale aussi par l'action civilisatrice que l'homme a menée en l'ouvrant au monde grâce au tunnel, creusé par Vespasien. Pour inscrire la démarche d'Honorius dans la tradition de la geste civilisatrice romaine, Claudien reprend les mots de Virgile qui chantait les travaux de construction menés par les hommes dans le livre 2 des Géorgiques (v. 155-157) et le canal creusé par Agrippa (v. 162-165). En mentionnant de manière allusive ces épisodes romains, le poète relie, au bénéfice politique d’Honorius, le passé glorieux et le présent du triomphe.
Les lieux dans lesquels s'arrête le Prince sont choisis pour leur dimension divinatoire (le temple de Jupiter Apenninus) et sacrée que met notamment en valeur l'élément aquatique, par le jeu des échos phoniques [s] et [a]. Jamais Honorius n'est présenté comme étant incompatible avec son environnement romain immédiat, un environnement dont on a du mal à croire quand on lit Claudien, qu'il était devenu chrétien. Cette osmose entre le Prince et le paysage est une audace supplémentaire parce qu'elle n'existe réellement en ces termes que pour Honorius, ce ne fut jamais le cas de Théodose.
L'eau se présente sous des formes diverses bouches du fleuve, mer, sources, chacun ayant trait à l'élément cultuel de la romanité, notamment dans sa dimension oraculaire. Chaque arrêt en ces lieux fonctionne comme un marqueur initiatique et est, traditionnellement, l'occasion de décrire les curiosités que l'empereur rencontre et qui permettent à notre poète, en d’autres moments de son œuvre, de s'adonner au plaisir descriptif des mirabilia par la mise en scène des couleurs, de la lumière ou des sons. Dans ce panégyrique, l’arrêt devant les eaux du Clitumne véhicule surtout une charge symbolique forte. En effet, notre poète procède à une description très allusive dans laquelle se devinent l’hypotexte virgilien (armenta candida) et la topique oraculaire, pour s’attarder sur la particularité de la source qui offre à qui s’approche le miroir de sa personnalité (corporis umbras, humanos mores) et sa destinée : haec sola ouam iactantia sortem / humanos properant imitari flumina mores. Or, le Prince, en route pour Rome, n’a rien à craindre de ces sortes, les eaux de la source révèleront les qualités qui sont les siennes pour être un empereur. Enfin, le poète évoque la haute Narni (celsa Narnia), connue dans l’Antiquité, notamment par le biais des Laudes Italiae de Virgile, pour son fleuve blanc sulfureux. En outre, le récit progresse par un mouvement gradué vers le sacré qui trouve son point d'acmé dans les libations au Tibre, comme plus tard la cérémonie d'adventus trouvera son point d'orgue dans la parade équestre. En s’inclinant devant le fleuve de Rome, Honorius en reconnaît le caractère sacré et s’y soumet, comme l’Éridan s’était incliné devant Honorius, en un geste d’adoratio dans le panégyrique en l’honneur du troisième consulat (v.122-125).
À la différence d'Alaric, Honorius, sur son trajet, ne rencontre aucun obstacle, nous dit Claudien, le relief naturel ne lui créée aucune difficulté, il franchit aisément chacune des frontières que marquent les cours d'eau, parce qu'il en maîtrise la dimension religieuse, signe de sa légitimité et que d’une certaine manière, le monde consent à sa domination.
Dans le même temps, plus Honorius avance vers Rome, plus l'espace naturel se domestique, se voit maîtrisé, se romanise en quelque sorte : à l'élément étranger qui marquait l'embouchure du Pô (aduena Nereus) succèdent les sources du Clitumne. Ces modifications du paysage reflètent celles qu'opère Honorius, dans son mode de gouvernance, Honorius dont l'autorité éclipse désormais Théodose. En cela ce panégyrique marque l'aboutissement d'un processus. Honorius est ici un empereur-citoyen, un popularis princeps, qui sait se conformer à ce qu'attend Rome Éternelle, qui ne se comporte pas comme un conquérant prédateur, c'est à dire pour Claudien le symbole du prince idéal. C'est aussi un empereur à la mesure du monde qui l'entoure qui entre dans Rome.
L'entrée dans Rome proprement dite s’effectue, par la voie Flaminia, en elle-même déjà monumentale : excipiunt arcus operosaque semita uastis / molibus et quidquid tantae praemittitur Vrbi.
Le récit est alors suspendu par une comparaison qui associe Rome à une jeune fille prête pour le mariage, dont la mère soigne la parure. La description de la parure, si elle renvoie par son caractère précieux, aux descriptions de trabée consulaire et de toge impériale que l’on retrouve dans les panégyriques de Claudien (notamment le panégyrique en l’honneur du IVème consulat d’Honorius, v. 585-601), active la thématique de l’apparat et de la dignité impériale. Aux images du monde naturel vont désormais succéder les images de la divinité et de la majesté du prince, matérialisées par les notations de lumière et d’éclat des gemmes.
Pour que cet aduentus se réalise pleinement, il faut que le parcours du prince puisse être lu comme un parcours symbolique. En quittant Ravenne, Honorius est présenté comme un chef de guerre vainqueur mais ce n'est pas l'aspect privilégié par Claudien, le poète souligne plutôt la pietas dont il fait preuve envers les dieux et le soin qu’il met à satisfaire leur volonté. Par ailleurs, la thématique de la vue est un élément du récit de voyage: Honorius observe les eaux du Clitumne et à deux reprises Claudien le montre observant le paysage d'un point de vue surélevé (despicitur, prospectans) conférant au regard une dimension symbolique. En effet, en s’extrayant de l’immédiateté, Honorius manifeste sa capacité à comprendre le monde et par là à s'inscrire dans l'éternité de Rome, éternité rendue à nouveau possible par la victoire de Stilicon sur Alaric. En cela, il fait preuve de qualités traditionnellement nécessaires pour la bonne gouvernance, qui lui permettent de ne pas arriver à Rome en maître absolu (dominus).
Honorius présenté comme un nouvel Énée prend ainsi, au fur et à mesure de son trajet, une dimension véritablement romaine, garante de la paix universelle, et cette romanité est le véritable enjeu du conflit entre Stilicon et Alaric. L'un comme l'autre revendiquent Rome parce qu'elle seule a été choisie par les dieux, comme le rappelle à plusieurs reprises ce panégyrique.
Le trajet vers Rome permet une célébration de l'Italie éternelle et de Rome dans une sorte de bouclage symbolique et initiatique, le temple de la Fortune accueillant le prince et le Tibre auquel le prince présente ses libations. À l’issue de ces étapes, Honorius, transformé, modelé aux vertus républicaines telles que les concevait Claudien est, alors, prêt à recevoir les honneurs que lui réserve la ville éternelle.